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C’était, pour son esprit, en venir à une conclusion fort humiliante, particulièrement quand elle opposait à cela la conduite de la pauvre vieille, qu’elle avait, dans sa supériorité imaginaire, repoussée, et qui, maintenant, venait par du bien récompenser le mal qu’on lui avait fait. De quel profit lui étaient, dans son malheur, son haut rang et ses beaux habits ? N’était-cllc pas aujourd’hui à la merci de la femme dont elle avait méprisé la pauvreté ?... Oh! que cette pauvre créature était admirable! et noble vraiment, tandis qu’elle, la grande Princesse, ne s’enorgueillissait que d’une haute naissance, oubliant que la véritable noblesse est celle qui engendre de bonnes actions... Oh! elle essaierait ferme de devenir meilleure, elle ferait son étude du plaisir d’autrui et s’efforcerait d’être utile. « Marie! » elle appelait sa servante, qui arriva aussitôt; « j’éprouve tant de reconnaissance d’être quitte du mal, — et puis, j’ai réfléchi, — il me souvient de vous avoir parlé très durement l’autre jour que vous n’étiez point à blâmer, — j’en suis à présent très fâchée, — j’essaierai d’être meilleure à l’avenir. » C’était beaucoup pour la Princesse que de dire cela, car elle possédait une nature impérieuse et fière. Marie, qui avait un cœur chaud et était femme de premier mouvement, saisit la main de sa jeune maîtresse dans les deux siennes, la baisant avec des larmes de sympathie et déplorant son malheur. Blanche prit la détermination de se mettre tout de suite à faire quelque chose d’utile; et, comme elle était bonne, causa le lendemain avec ses gouvernantes, leur disant de lui faire savoir tous les cas d’infortune méritants, qu’elle pouvait secourir. Elle en apprit bientôt plusieurs, assez pour occuper ses pensées et lui permettre de disposer de son argent; mais elle trouva bien plus dure la tâche de changer de caractère. Toutefois, en luttant pour surmonter ses défauts et en reconnaissant humblement ses torts, la jeune Princesse exerça une influence très salutaire sur le royal intérieur. Ses petits frères et sœurs rivalisaient les uns avec les autres, à qui céderait le plus gracieusement, imitant Blanche, de sorte qu’il était rare qu’il y eût des querelles dans la nursery ou l’appartement des enfants : de même les gens de la maison, voyant si gentille leur royale maîtresse, prirent modèle sur elle. Cependant la Fée Égoïste ne la quitta point encore tout à fait; et, en conséquence, elle resta aveugle. Un jour, ils étaient allés faire une grande promenade en voiture dans le pays où, le long des sentiers écartés, se cueillaient des mûres, amusement que les princes aimaient beaucoup; et René avait promis de se charger tout particulièrement de Blanche. Il se trouva qu’une des petites princesses, Sibylle, était souffrante, sortant d’une rougeole,