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s’adoucira; et, en recouvrant la vue, vous verrez d’un regard tout différent. Que votre devise soit dorénavant : Faire tout le bien qu’on peut, de toutes les façons qu’on peut, à tous ceux qu’on peut ; et cela aussi longtemps qu’on le peut. » Le soupir poussé par la vieille n’était pas plus profond que celui qui, maintenant, s’échappa du sein de Blanche; car, la première fois de sa vie, elle vit du chagrin pour elle en perspective, et sentit que ses habitudes auraient à subir un changement total. Cela, dans son état présent d’esprit, ne lui semblait rien moins que désirable. Encore n’inter-rompit-elle point, comme la Fée continuait : « Si à quelque heure vous vous sentez le cœur faiblir, appelez la Fée Bonté, Reine de toutes les Fées, et je vous enverrai soutien et réconfort. Sitôt que vous aurez dit un adieu éternel à la Fée Égoïste, je vous récompenserai en vous emmenant en visite au Pays des Fées, royaume si enchanteur, que vous demeurerez par la suite toujours bonne et noble, afin d’y retourner. » Cependant elles avaient atteint la porte du bois donnant sur la route, et Amanda vit, avec des yeux quelque peu obscurcis par les larmes, le char de la Éée, qui attendait. Huit cygnes magnifiques, le soutenant, battaient des ailes, comme dans un joyeux salut à leur Reine. La Fée Bonté, en montant dans le char, tendit sa main à la Princesse et dit : « Au revoir, Blanche, considérez-moi comme une amie vraie, qui vous aidera dans le besoin, quoique vous puissiez ne point aimer le conseil que je vous donne maintenant : ne refusez plus jamais d’aider personne à sortir du bois! » Alors, lui envoyant de la tête un bienveillant adieu, elle donna le signal du départ. Les cygnes étendirent leurs grandes ailes joyeusement et, montant dans l’air, portèrent leur beau fardeau à sa demeure de fée. Blanche de longtemps ne les quitta pas des yeux, puis les perdit de vue, et tristement s’achemina vers son Palais. Comme elle marchait languissamment le long de l’avenue majestueuse qui conduisait à ses appartements privés, son esprit était frappé d’une chose : « Ce qui venait d’arriver, était-ce bien une réalité, ou seulement un rêve ? » et elle redoutait que les paroles de la Fée ne vinssent à se montrer véridiques. C’est le cœur succombant à la peine, qu’elle franchit la porte qui s’ouvrait sur son boudoir et passa, sans être remarquée, dans sa chambre à coucher. Elle ne fut pas plus tôt entrée, qu’elle éprouva aux yeux une sensation de brûlure et des vertiges à la tête. S’élançant, morte de peur, vers le plus proche miroir, elle s’aperçut que déjà ses yeux adorables étaient altérés, qu’elle avait les paupières rouges et enflées, la pupille presque voilée. Elle