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soit dans les maximes des poètes, des philosophes, ayant sur la vie l’influence morale et sacrée que n’a pas, en principe, la théogonie grecque. Il se formera, avec l’aide de la conscience humaine, de cette façon, deux courants idéals distincts : l’un, situé entre la religion et la fable, est le mythologique proprement dit; un autre serait celui qu’au-jourd’hui nous appellerions simplement le religieux. Que tous deux se présentent sous le couvert des mêmes paroles anciennes, bien que restant totalement différents : cela est abondamment prouvé par la littérature grecque, non moins que par la littérature hindoue. Ne point croire que, dans les temps antiques, un homme qui prononçait fréquemment le nom de Zeus, fît une allusion continuelle à un personnage unique; non : il parlait comme deux langues très distinctes. Zeus existait double au fond de son âme : le Zeus embrassant les noms et les actes des phénomènes par ce dieu personnifiés, et le Zeus père universel, imploré dans le malheur et remercié dans la joie, qui voit tout et que personne ne vit jamais. Le Paganisme empruntait, inconsciemment, à la religion unique, latente, certaines de ses inspirations les plus pures comme cette dernière, dans sa phase moderne, qui est le Christianisme, a emprunté aux rites plusieurs manifestations extérieures de son culte*. Si l’élément poétique l’emporta décidément, dans la Mythologie, sur l’élément purement religieux, quelle est donc l’idée, chère au poète, qui pourrait, selon la science moderne, ordonner en un système le groupe épars des dieux et des héros ? Nous parlons aujourd'hui du Soleil qui se couche et se lève avec la certitude de voir ce fait arriver; mais, eux, les peuples primitifs, n'en savaient pas assez pour être sûrs d'une telle régularité; et quand venait le soir, ils disaient : « Notre ami le Soleil est mort, reviendra-t-il ? » Quand ils le revoyaient dans l'Est, ils se réjouissaient parce que l’astre rapportait avec lui et sa lumière et leur vie. Tel est, avec le changement des Saisons, la naissance de la Nature au printemps, sa plénitude estivale de vie et sa mort en automne, enfin sa disparition totale pendant l'hiver (phases qui correspondent au lever, à midi, au coucher, à la nuit), le grand et perpétuel sujet de la Mythologie : la double évolution solaire, quotidienne et annuelle. Rapprochés par leur ressemblance et souvent confondus pour la plupart dans un seul des traits principaux qui retracent la lutte de la lumière et de l’ombre, les dieux et les héros deviennent tous, pour la science, les acteurs de ce grand et pur spectacle, dans la grandeur et la pureté duquel ils s'évanouissent bientôt à nos yeux, lequel est : La Tragédie de la Nature**.

  • Le Traducteur, d’après l’Auteur en général; notamment d’après la Gde Myth., liv. I et II, ch. 1 et 2.
    • Note particulière à la Traduction.