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Résumé Une question grave et du plus vif intérêt, au point actuel de cette Etude, se formule ainsi : Outre la richesse que tire, pour son Vocabulaire, de l’apport de tant de Mots tous formés et vivants, la Langue Anglaise, y a-t-il une influence produite sur ses sonorités ou ses articulations diverses par les nôtres ? Gardez de ce qui vient de se montrer à votre esprit un souvenir à peu près exact et vous voyez que non, certes, nos Vocables ne changèrent pas grand chose à la prononciation anglaise; puisqu’ils n'ont eu cours là-bas, bien au contraire, qu’après en avoir subi l’empreinte. Obéissant à un alphabet presque congénère à celui d’ici, on peut même ajouter qu’il y avait pour le Mot peu à perdre et peu à gagner : car un sûr travail d’assimilation devait s’accomplir; nul son n’a été gagné et presque aucun n’a été perdu. Juste, une appréciation repose sur le plus ou moins grand nombre de fois que se rencontre tel son avant ou après la Conquête : affaire de proportion et de mesure. Ce calcul peut se tenter : l’Anglais, que vous vous plaisez à dire chuchoté et non parlé, reste, en effet, plus sifflant de beaucoup que l’Anglo-Saxon, celui-ci l’étant moins qu’aucun idiome gothique. A quoi attribuer ce fait tardif? à l’ingérence du Français, si abondant en 5 muettes, celles du pluriel, par exemple, dans les noms : lettres mortes chez nous, mais qui revivent dans le pays voisin, leur silence originel s’y réveillant en un vaste susurrement. Autre innovation; ou mieux la fixation d’un son rare jadis et maintenant acquis, le SH, égalant notre CH et l’imitant dans d’autres mots que les nôtres : sceal, Anglo-Saxon, a fait shall, sceap sheep, sceorl short, etc. Mais notre accent (je parle de l’accent tonique ou de l’effort de la voix porté sur une syllabe du Mot au détriment des autres), lui, persista longtemps après que se fût évanouie parfois la marque natale. Nous accentuons à la fin, l’Anglais au commencement : aussi faut-il lire encore dans Chaucer ver-tùe et non virtue, ou laboure, non labour, pour ne pas désobéir au rythme; à peine dans Shakespeare et Milton, un cas analogue se produit-il de loin en loin. Toute réminiscence de ce fait a presque cessé aujourd’hui; on ne s'attache qu’à des mots classés par les Grammaires : complète, divine, jocôse, polite, urbane. Anomalie qui donne lieu à une distinction heureuse : car parfois, dans ses deux sens, un Adjectif s’accentuera autrement, ex. humàne, compatissant, et hvman, humain, dit généralement; ou un Nom ou un Verbe se trouveront différenciés par le même moyen, a rébel, a record, puis to rebél, to record (traces exceptionnelles).