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Fausse encore, cette fable d’un lien entre la grandeur de l’Art et les vertus de l’État, car l’Art ne vit pas des nations, et les peuples peuvent s’effacer de la face de la terre, mais l’Art est.

Il est grand temps en vérité que devant l’Art nous rejetions le poids de la responsabilité et de l’association et sachions que d’aucune manière nos vertus ne s’emploient à sa fortune, nos vices d’aucune manière ne mettent empêchement à son triomphe.

Qu’elle est fastidieuse, sans espoir et surhumaine, la tâche à soi inspirée par la nation ; et sublimement vaine la croyance que celle-ci doit noblement vivre, ou l’art périr !

Rassurons-nous, notre vertu reste l’objet de notre choix. Nous n’influençons pas l’Art.

Mobile divinité, capricieuse, un sens chez elle puissant de la joie ne tolère rien de morne ; et ne vivions-nous jamais si immaculés, elle peut nous tourner le dos.

Comme de temps immémoriaux elle a agi avec les Suisses, dans leurs montagnes.

Quel peuple plus digne ! lui dont chaque cavité alpestre baille la tradition, regorge de noble histoire et pourtant tout erreur et mépris, il n’en a souci, et les fils des patriotes en restent à l’horloge qui fait tourner le moulin, ou subit au coucou, refermant sa boîte.

C’est pour ceci que Tell fut un héros, pour ceci que mourut Gessler.