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En ce qui concerne nos gains théoriques, l’analyse des lois trobriandaises nous a donné une idée claire des forces de cohésion qui existent dans une société primitive, fondée à la fois sur la solidarité à l’intérieur du groupe et sur l’appréciation des intérêts personnels. L’opposition qu’on voudrait établir entre le « sentiment de groupe », la « personnalité collective » et l’ « absorption par le clan », d’une part, et, d’autre part, l’individualisme et la poursuite de fins égoïstes, soi-disant caractéristiques de l’homme civilisé, nous apparaît tout à fait artificielle et futile. Aucune société, qu’elle soit primitive ou civilisée, ne saurait reposer sur une fiction ou sur une excroissance pathologique de la nature humaine.

Parmi les résultats auxquels nous sommes arrivés dans ce mémoire, il convient d’en signaler un, qui est d’un caractère plutôt moral. Bien que nous nous soyons principalement bornés à la description et à la constatation des faits, il s’est cependant trouvé, parmi ceux-ci, certains qui nous ont entraînés à une analyse théorique plus générale, comportant certaines explications des faits discutés. Mais ce faisant, nous ne nous sommes pas trouvés une seule fois dans la nécessité de recourir à des hypothèses, à des reconstitutions évolutionnistes ou historiques. Les explications que nous avons données se réduisaient à la décomposition de certains faits en leurs éléments plus simples et à la recherche des rapports existant entre ces éléments. Ou encore nous avons pu rattacher un aspect donné de la culture à un autre et à faire ressortir la fonction que chacun d’eux remplissait dans le schéma de la culture. Nous avons vu que les rapports entre le droit maternel et le principe paternel, ainsi que les conflits partiels qui se produisent entre l’un et l’autre, rendent compte d’un ensemble de formations qu’on peut appeler « formations de compromis », telles que mariages entre cousins germains, certaines modalités d’héritage et certains types de transactions commerciales, la constellation typique formée par le père, le fils et l’oncle maternel et certaines particularités du système fondé sur la division en clans[1]. Nous avons pu montrer également que diverses carac-

  1. On trouvera une discussion plus détaillée des rapports entre le droit maternel et l’amour paternel dans notre ouvrage : La sexualité et sa répression.