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forme le corps de la législation tribale, ces systèmes entrant de temps à autre en conflit, subsistant le reste du temps côte à côte à l’état de compromis ou d’adaptation réciproque. Nous ne jugeons pas utile d’entrer dans plus de détails sur ces points, car nos conclusions s’appuient sur un ensemble de faits suffisant et n’ont été élaborées qu’à la suite d’une longue discussion théorique.

Disons cependant que notre discussion nous a révélé un fait important, à savoir que le problème réel consiste, non dans une énumération pure et simple des prescriptions, mais dans la recherche des voies et moyens par lesquels les prescriptions sont exécutées. Particulièrement instructive nous a paru l’étude de situations qui comportent une réglementation définie, de la manière dont s’y conforment les personnes intéressées, de la réaction de la communauté en général, des conséquences du conformisme ou de la négligence. Tout cela, qui constitue ce qu’on pourrait appeler le contexte culturel d’un système primitif de prescriptions, est aussi, sinon plus, important que la simple récitation d’un soi-disant corpus juris indigène, que l’ethnologue a codifié dans son carnet de notes, comme conclusion d’une enquête par réponses et questions, conformément à ce que j’appelle la « méthode de l’ouï-dire » dans le travail de plein air.

Nous ouvrons ainsi une nouvelle voie aux recherches anthropologiques de plein air : l’étude par l’observation directe des règles de la coutume, telles qu’elles fonctionnent dans la vie réelle. Cette étude révèle que les commandements de la loi et de la coutume constituent un tout organique, au lieu d’être isolés les uns des autres ; qu’ils sont caractérisés précisément par les nombreux tentacules qu’ils projettent dans la vie sociale ; qu’ils n’existent qu’en tant que maillon de la chaîne formée par les transactions sociales. Je prétends que la manière fragmentaire dont sont conçus la plupart des exposés de la vie tribale est un effet de l’information imparfaite et qu’elle est en fait incompatible avec le caractère général de la vie humaine et les exigences de l’organisation sociale. Une tribu indigène, régie par un code se composant de coutumes inorganiques, sans lien les unes avec les autres, se désagrégerait sous nos yeux.

Nous ne pouvons donc que souhaiter la disparition rapide et complète, dans les comptes-rendus de recherches de plein air,