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l’intérêt paternel. Puis vient celle qu’on constate entre la solidarité du clan totémique d’une part, les liens de famille et les impulsions égoïstes, de l’autre. Les conflits entre le caractère héréditaire du rang et les prétentions dictées par la conscience de la vaillance personnelle ou ayant leur justification dans les succès économiques ou dans les résultats obtenus par l’exercice de la magie, sont également d’une certaine importance. La sorcellerie comme instrument de puissance personnelle mérite une mention spéciale, car le sorcier est souvent pour le chef un compétiteur redouté. Si je disposais d’assez de place, je pourrais citer d’autres exemples de conflits, d’un caractère plus concret et accidentel. Je pourrais exposer en détail l’histoire authentique de l’expansion graduelle du pouvoir politique du sous-clan Tabalu (du clan Malasi) et montrer comment dans ce cas le principe du rang, dépassant les limites légitimes, a empiété sur la loi de la citoyenneté locale, reposant sur des témoignages mythologiques et sur la succession en ligne maternelle. Je pourrais également décrire les luttes séculaires qui se sont déroulées entre ces mêmes Tabalu et les Toliwaga (du clan Lukwasisiga), les premiers ayant eu pour eux le rang, le prestige et le fait d’un pouvoir établi, les derniers une organisation militaire plus forte, des qualités guerrières et plus de bonheur dans les combats.

La conclusion la plus importante qui, pour nous, se dégage de ces luttes entre des principes sociaux différents, souvent opposés, c’est qu’elles nous forcent à modifier complètement la conception traditionnelle de la loi et de l’ordre dans les communautés sauvages. Nous devons renoncer une fois pour toutes à la représentation d’une « croûte » de coutumes exerçant du dehors une pression rigide sur toute la surface de la vie tribale.

La loi et l’ordre naissent des processus mêmes qu’ils sont censés régir. Mais ils ne sont ni rigides, ni l’effet d’une inertie, ni coulés dans un moule permanent et invariable. Ils sont plutôt le produit de luttes constantes qui se déroulent non seulement entre les passions humaines et la loi, mais aussi entre les divers principes légaux. Ces luttes sont soumises à certaines conditions, ne peuvent se dérouler que dans certaines limites et doivent éviter la lumière de la publicité. Mais lorsqu’on se trouve en présence d’une provocation ouverte, la loi stricte affirme aussitôt sa supré-