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une fête ou une expédition kula. Ces magies, qui s’attaquent à des institutions établies et à des affaires importantes, constituent vraiment des instruments de crime transmis par la tradition. Mais il s’agit d’une tradition qui travaille contre la loi et est en conflit avec elle, puisque la loi, dans ses diverses manifestations, a pour mission de sauvegarder les institutions et d’encourager les affaires. Nous parlerons plus loin de la sorcellerie, qui est une variété particulière et très importante de la magie noire, ainsi que de quelques autres procédés non magiques de soustraction à la loi.

La loi de l’exogamie, la prohibition du mariage et des rapports sexuels à l’intérieur du clan sont souvent citées comme les commandements les plus rigides de la législation primitive, puisque l’interdiction ne tient pas compte du degré de parenté existant entre l’homme et la femme : il a un caractère général et absolu. C’est, dit-on, dans le tabou de l’inceste de clan que s’expriment le mieux et l’unité du clan et la réalité du « système de parenté classificatoire ». Ce tabou considère tous les hommes et toutes les femmes du clan comme « frères » et « sœurs » et leur interdit d’une façon absolue toute intimité sexuelle. Une analyse attentive des faits importants de la vie des Trobriandais révèle l’inconsistance de cette manière de voir. Une fois de plus, on se trouve en présence d’une de ces exagérations de la tradition indigène que l’anthropologie a prises au pied de la lettre et incorporées dans sa théorie[1]. Aux îles Trobriand, le jugement porté sur la rupture de l’exogamie varie, selon que les deux coupables sont très proches parents ou seulement unis par des liens de clan. L’inceste avec

  1. Voici un exemple où les rôles du sauvage et du civilisé, de l’ethnologue et de l’informateur se trouvent intervertis : beaucoup de mes amis mélanésiens, prenant à la lettre la doctrine de l’amour « du prochain », prêchée par les missionnaires chrétiens, et les tabous contre la guerre et le meurtre, prêchés et promulgués par les fonctionnaires du gouvernement, se montrent incapables de concilier avec cette doctrine et ces tabous les récits sur la guerre mondiale qui, par l’intermédiaire de planteurs, de commerçants, de navigateurs, de la main-d’œuvre employée aux plantations, ont pénétré jusque dans les villages mélanésiens ou papous les plus reculés. Ils étaient littéralement stupéfaits d’apprendre que les hommes blancs détruisaient en une journée un nombre tellement grand de leurs semblables qu’il dépassait le total des membres de plusieurs tribus mélanésiennes, parmi les plus grandes. Ils en ont conclu tout naturellement que les hommes blancs étaient d’infâmes menteurs, mais ils se demandent si leur mensonge porte sur leurs prétentions morales ou s’ils se vantent seulement en exagérant leurs exploits guerriers.