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DEUXIÈME PARTIE

LE CRIME ET LE CHÂTIMENT
DANS LES SOCIÉTÉS PRIMITIVES

I

La violation de la loi et le rétablissement de l’ordre

L’intérêt scientifique, qui n’est que de la curiosité affinée, est ainsi fait qu’il se porte plus volontiers sur ce qui est extraordinaire et sensationnel que sur ce qui est normal et quotidien. Ce qui, dans un nouveau domaine de recherches ou dans une jeune branche d’études, attire tout d’abord l’attention et conduit à la découverte de nouvelles régularités universelles, ce sont les violations apparentes des lois naturelles ; car, et c’est en cela que gît le paradoxe de la passion scientifique, l’étude systématique ne s’empare du miraculeux que pour le transformer en naturel. La science, à la longue, réussit à édifier un Univers bien réglé, reposant sur des lois valables, animé de forces précises qui le pénètrent d’un bout à l’autre, conforme à quelques principes fondamentaux.

Cela ne veut pas dire que la science doive bannir de la réalité le merveilleux, le mystérieux. Ce qui encourage l’esprit philosophique à poursuivre ses investigations, c’est le désir de découvrir de nouveaux mondes et de faire de nouvelles expériences, et la métaphysique nous retient par la promesse d’une vision dépassant la limite de l’horizon le plus éloigné. Mais la discipline qu’impose la science a changé le caractère de notre curiosité, la manière dont nous apprécions ce qui est réellement merveilleux. La contemplation des grandes lignes du monde, le mystère des données immédiates et des fins ultimes ; l’élan, dépourvu de signification, de l’ « évolution créatrice » rendent, aux yeux du