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XII

Dispositions légales spécifiques

Les rares querelles qui se produisent prennent la forme d’un échange public de reproches (yakala), dans lequel les deux parties, assistées de leurs amis et parents, se haranguent et s’accablent mutuellement de récriminations. Ces litiges permettent aux gens de donner libre cours à leurs sentiments et de faire ressortir les dispositions de l’opinion publique, ce qui est parfois de nature à apaiser les disputes. Mais dans beaucoup de cas cette manière de vider les querelles ne fait que les aggraver. Mais il n’y a jamais de sentence précise, prononcée par des tiers, et la conciliation n’est que rarement réalisée çà et là. Le yakala est donc une disposition légale spéciale, de peu d’importance et sans rapport avec ce qui forme le noyau même de la contrainte légale.

Plusieurs autres mécanismes légaux spécifiques méritent d’être mentionnés ici. L’un d’eux s’appelle kaytapaku : protection magique de la propriété à l’aide d’imprécations. Lorsqu’un homme possède des cocotiers ou des palmiers areca dans des endroits éloignés où il lui est impossible de les surveiller, il attache une feuille de palmier au tronc de l’arbre, ce qui indique qu’une formule a été prononcée qui attirerait automatiquement une maladie sur le voleur. Une autre institution ayant un aspect légal est représentée par le kaytubutabu, magie exécutée sur tous les cocotiers d’une communauté, généralement à l’approche d’une fête, afin de les rendre fertiles. Cette magie comporte une stricte prohibition de cueillir des noix ou de faire un partage de noix, même importées. Le gwara est une institution similaire[1]. On plante un bâton sur le rocher et, par là même, on frappe de tabou toute exportation de certains objets d’utilité courante, sur lesquels portent les échanges cérémoniels dans le

  1. Voir la description de cette institution dans Argonauts of the Western Pacific (références dans l’Index, sous le vocable « Gwara »). Voir également l’ouvrage du professeur Seligman, Melanesians, et notre article The Natives of Mailu, dans « Transact. R. Soc. of S. Australia », vol. 39 (description de la gola ou gora chez les Papous-Mélanésiens de l’Ouest).