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jusqu’ici trouvé que des commandements positifs, dont la transgression est pénalisée, mais non punie et auxquels aucune méthode de Procuste ne ferait dépasser la ligne qui sépare la loi civile de la loi criminelle. S’il nous fallait désigner les règles décrites dans ce dernier chapitre par un nom moderne, par conséquent peu approprié, nous dirions qu’elles forment le corps des « lois civiles » des insulaires trobriandais.

Les lois « civiles », les lois positives, qui gouvernent toutes les phases de la vie tribale, se composent donc d’un ensemble d’obligations impérieuses, considérées comme des droits par une partie, comme des devoirs par l’autre, maintenues en vigueur par un mécanisme spécifique de réciprocité et de publicité, inhérent à la structure même de la société. Ces prescriptions de la loi civile possèdent une certaine élasticité et leur application comporte une certaine latitude. Elles ne punissent pas seulement les manquements aux devoirs, mais accordent aussi des récompenses à ceux qui s’en acquittent au-delà des limites prescrites. Leur efficacité a sa source dans l’appréciation rationnelle des causes et effets par les indigènes, ainsi que dans un certain nombre de sentiments personnels et sociaux, tels qu’ambition, vanité, orgueil, désir de se faire valoir en étalant ses mérites, et aussi attachement, amitié, dévouement et loyauté envers les parents.

Je ne crois pas avoir besoin d’ajouter que les « lois » et les « phénomènes juridiques », que nous avons découverts en Mélanésie et décrits et définis dans les chapitres qui précèdent, ne sont pas représentés par des institutions spéciales et indépendantes. La légalité représente plutôt un aspect de la vie tribale, un des côtés de sa structure, et non un ensemble de dispositions indépendantes, un mécanisme social existant pour lui-même. La législation ne repose pas sur un système spécial de décrets, prévoyant et punissant toutes les formes possibles de transgression et leur opposant des barrières et des remèdes appropriés. La législation est le résultat spécifique des combinaisons qu’affectent les obligations, cette combinaison mettant l’indigène dans l’impossibilité d’esquiver sa responsabilité, sans avoir à en souffrir dans la suite.