Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/182

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gémissement qui se transmettait d’un groupe à l’autre, comme en réponse au don spirituel de la part de celui à qui il avait été offert. C’est la fille du visionnaire qui avait fourni ce gage de l’existence du monde souterrain.

Telles étaient donc ces fameuses matérialisations !

La phase la plus importante fut celle du réveil progressif du médium, après une transe qui dura plus d’une semaine. Pendant qu’il était plongé à fond dans cet état, il n’avait pas transmis un seul message véritable du monde des esprits. Mais au cours de la sixième ou septième nuit, après une séance de chant très intense, le visionnaire se leva de son lit et se mit à parler. Il ne parla pas de sa propre voix et, d’après ce qu’on m’a assuré, ce n’était pas la voix d’un homme décédé récemment qui parla par sa bouche, mais l’esprit d’un homme mort depuis longtemps. C’étaient principalement des messages du chef récemment décédé, Narubuta’u. Ils contenaient des instructions sur la manière de disposer d’une certaine propriété ; le désir que le canoé restât à Oburaku et l’espoir que la distribution festivale de nourriture en son honneur serait magnifique. Les dispositions semblaient raisonnables et sages et je ne trouvai pas qu’elles fussent à l’avantage personnel du visionnaire lui-même.

En sortant de sa transe, Tomwaya Lakwabulo était vraiment émacié ; il avait l’air épuisé et donnait l’impression d’avoir le cerveau vide. Ce n’est que peu à peu qu’il revint à son état normal.

Dans toute cette affaire, quelle fut la part respective de la naïve croyance, de l’illusion voulue et de la tricherie délibérée ? Tomwaya était-il avant tout un artiste ou un prophète ? Était-il poussé principalement par la vanité, par la cupidité ou par le besoin de puissance et d’influence ? Il y avait de tout cela en lui et dans ce qu’il faisait, mais il n’est pas facile d’établir la proportion relative de chacun de ces éléments.

Il n’était certainement pas plus fourbe que nos célèbres et distingués spirites. Et, après tout, il ne donnait à son public que ce dont il avait un besoin pressant. Sa mission, ses exploits et ses aspirations, quelque décevants qu’ils aient pu être, répondaient à une nécessité incontestable. Il ne faisait que