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curiosité ou pour des raisons plus problématiques encore, mais précisément à cause des réactions émotionnelles qu’ils provoquent et de leur importance pragmatique. Nous venons de dire que les idées développées dans ces mythes sont d’un caractère particulièrement pénible. Dans l’histoire relative à l’institution du milamala et au retour périodique des esprits, il s’agit de la conduite cérémonielle des hommes et de l’attitude qu’ils doivent, à cette occasion, observer à l’égard des esprits. Les sujets développés dans ces mythes sont suffisamment clairs en eux-mêmes ; nul besoin de les « expliquer », et le mythe ne s’en soucie nullement. Il se contente de transformer un pressentiment auquel se rattache une forte réaction émotionnelle qu’éveille, même chez l’indigène, l’idée d’une fatalité inévitable et inflexible. Le mythe représente, avant tout, une réalisation claire de cette idée. Mais, en second lieu, il ramène à la mesure d’une réalité banale et domestique une vague, mais profonde, appréhension. Le don tant regretté de la jeunesse éternelle et la faculté de rajeunissement qui préserve de la déchéance et de la vieillesse ont été perdus à la suite d’un accident qu’un enfant ou une femme auraient pu prévenir. La séparation d’avec ceux qu’on aime, due à la mort, est attribuée au maniement maladroit d’une noix de coco et à une petite altercation. La maladie, à son tour, est connue comme ayant sa source dans un petit animal et comme ayant fait son apparition à la suite d’une rencontre fortuite entre un homme, un chien et un crabe. On attache une grande importance aux erreurs humaines, aux fautes, à la malchance. D’autre part, le sort, la destinée, l’inévitable, sont ramenés aux proportions d’une méprise humaine.

Pour bien comprendre ce fait, il importe de ne pas perdre de vue que dans son attitude émotionnelle à l’égard de la mort, qu’il s’agisse de la sienne ou de celle de gens qu’il aime, l’indigène n’est pas guidé uniquement par ses croyances et ses idées mythologiques. Sa peur intense de la mort, son ardent désir de la retarder le plus possible et le profond chagrin qu’il éprouve en voyant partir tel ou tel de ses parents démentent la croyance optimiste à la facilité du passage dans l’au-delà qui caractérise les coutumes, les idées et les rites des indigènes. Après la mort d’un être cher ou au moment où il y a menace de mort, l’indigène