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par an, pendant la fête milamala. » L’esprit se sentit offensé. Il répliqua : « Je m’en irai à Tuma et j’y vivrai sous terre. » Elle prit alors une noix de coco, la coupa en deux, garda la moitié qui a trois yeux et donna l’autre à sa fille. « Je te donne la moitié qui est aveugle ; aussi ne me verras-tu plus. Je garde celle qui a les yeux, ce qui me permettra de te voir quand je reviendrai. » C’est pourquoi les esprits sont invisibles, tout en pouvant eux-mêmes voir les êtres humains.

Ce mythe contient une allusion à la fête saisonnière de milamala, au cours de laquelle les esprits reviennent dans leurs villages respectifs pour assister aux réjouissances festivales. Il existe un mythe plus explicite, qui expose la manière dont la fête de milamala a été instituée. Une femme de Kitava mourut, laissant une fille enceinte. Celle-ci donna le jour à un garçon, mais n’eut pas assez de lait pour le nourrir. Ayant appris qu’un homme d’une île voisine allait mourir, elle le pria de se charger d’un message pour sa mère, retirée dans le royaume des esprits, message dans lequel elle priait la défunte d’envoyer de la nourriture à son petit-fils. La femme-esprit remplit son panier de nourriture et se dirigea vers le village en se lamentant : « Pour qui est cette nourriture que je porte ? Pour mon petit-fils auquel je vais la donner ; je marche pour lui donner cette nourriture. » Elle arriva sur la plage de Bomagema, dans l’île de Kitava, et déposa la nourriture. Elle parla à sa fille : « J’apporte de la nourriture ; l’homme m’a dit d’en apporter. Mais je suis faible ; je crains que les gens ne me prennent pour une sorcière. » Elle fit alors rôtir un des ignames et le donna à son petit-fils, après quoi elle se rendit dans la brousse et planta un jardin pour sa fille. Mais lorsqu’elle revint, elle fit peur à sa fille, tellement elle ressemblait à une sorcière. Aussi la fille ordonna-t-elle à sa mère de s’en aller, en disant : « Retourne à Tuma, au pays des esprits ; les gens diraient que tu es une sorcière. » La mère-esprit se plaignit : « Pourquoi me chasses-tu ? Je croyais pouvoir rester avec toi et planter des jardins pour mon petit-fils. » La fille se contenta de répondre : « Va-t’en, retourne à Tuma ! » La vieille femme prit alors une noix de coco, la coupa en deux, donna la moitié aveugle à sa fille et garda la moitié voyante pour elle. Elle lui dit qu’une fois par an elle et d’autres esprits