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Cette croyance nous montre comment des mythes « mineurs » naissent continuellement d’une grande histoire schématique. C’est ainsi qu’en ce qui concerne toutes les causes de la maladie et de la mort, la croyance, ainsi que les récits explicites qui l’expriment en partie et les petits événements surnaturels concrets que les indigènes enregistrent tous les jours, forment un tout organique. Il est évident que ces croyances ne constituent ni une théorie ni une explication. D’une part, elles expriment tout l’ensemble des pratiques culturelles, car, en ce qui concerne la sorcellerie, on ne croit pas seulement qu’elle est pratiquée, mais elle est réellement pratiquée, du moins par les hommes ; d’autre part, cet ensemble dont nous nous occupons exprime la réaction pragmatique de l’homme à la maladie et à la mort, c’est-à-dire ses émotions et pressentiments, et il influe sur sa conduite en conséquence. Par sa nature, le mythe nous apparaît ainsi comme quelque chose de très éloigné d’une explication rationnelle.

Nous connaissons maintenant toutes les idées des indigènes concernant les causes pour lesquelles l’homme a perdu, dans le passé, la faculté de rajeunissement et qui, de nos jours, abrègent son existence. Le rapport entre ces deux faits n’est, soit dit en passant, qu’indirect. Les indigènes croient que, tout en pouvant atteindre l’enfant, les jeunes gens et les hommes à la fleur de l’âge, aussi bien que les hommes âgés, la sorcellerie, sous toutes ses formes, frappe le plus facilement les vieillards. C’est ainsi que la perte de la faculté de rajeunissement a, tout au moins, préparé le terrain à la sorcellerie.

Mais bien que le moment vînt où les hommes commencèrent à vieillir et à mourir, à devenir ainsi des esprits, ils n’en restèrent pas moins dans les villages avec les survivants ; et aujourd’hui encore, ils se tiennent autour des habitations, lorsqu’ils reviennent dans le village natal pendant la fête annuelle de milamala. Un jour, l’esprit d’une vieille femme qui vivait dans la maison des siens se glissa, le long du parquet, sous la plate-forme supportant le lit. Sa fille, qui distribuait la nourriture aux membres de sa famille, versa sur elle un peu du bouillon qui remplissait la coupe en coquille de noix de coco et la brûla. L’esprit adressa des reproches et des réprimandes à sa fille. Celle-ci répondit : « Je te croyais partie ; je croyais que tu ne revenais qu’une fois