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même que leur contemporain anglais, Sir Henry Maine, était handicapé par son adhésion trop absolue à la théorie du patriarcat. La plupart des efforts faits par les savants continentaux dans le domaine de la jurisprudence primitive avaient pour but (but vain et efforts dépensés en pure perte) de démontrer l’exactitude des théories de Morgan. Le mythe du « mariage de groupe » projetait son ombre sur toute leur argumentation et toutes leurs descriptions, et frappait d’un vice incurable toutes les constructions juridiques qu’ils édifiaient à l’aide de concepts tels que « responsabilité de groupe », « justice de groupe », « propriété de groupe », « communisme », bref en admettant comme un dogme l’absence de droits et d’obligations individuels chez les sauvages.

À la base de toutes ces idées il y avait le postulat que dans les sociétés primitives l’individu est totalement dominé par le groupe, la horde, le clan ou la tribu, qu’il obéit aux commandements de sa communauté, à ses traditions, à son opinion publique, à ses décrets, avec une passivité servile, pour ainsi dire fascinée. Ce postulat joue encore un grand rôle dans les discussions modernes sur la mentalité et la vie sociale des sauvages et se retrouve notamment dans les travaux de l’école française de Durkheim, dans la plupart des travaux américains et allemands et dans quelques ouvrages anglais.

Ainsi handicapée par l’insuffisance de sa documentation et par l’inconsistance de ses assertions, la première école en matière de jurisprudence anthropologique se trouva acculée dans une impasse de constructions artificielles et stériles. Aussi se montra-t-elle incapable de se maintenir, et l’intérêt pour le sujet qui nous occupe subit, après un éveil brillant de brève durée, une grave éclipse, s’il ne disparut pas complètement. Un ou deux ouvrages importants parurent encore sur ce sujet, les enquêtes de Steinmetz sur les origines du droit pénal et l’analyse de la législation civile et criminelle primitive, par Durkheim ; mais, dans l’ensemble, le premier élan laissa si peu de traces que la plupart des anthropologistes modernes, les théoriciens comme les praticiens, en ignorèrent l’existence. Lorsqu’on ouvre le manuel ayant pour titre : Notes and Queries on Anthropology, on constate que le mot « loi » ne figure ni dans l’index ni dans