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nature véritable du mythe et d’obtenir une classification satisfaisante des contes populaires. En fait, nous repoussons également la définition de la légende et celle du conte de fées que les auteurs en question proposent dans la suite de leur ouvrage.

Ce que nous reprochons surtout à leur manière de voir, c’est que, si elle venait à prévaloir, elle enlèverait toute efficacité au travail de plein air, car elle encouragerait les observateurs à se contenter des récits tels qu’ils sont enregistrés par écrit. Le texte épuise bien le côté rationnel d’une histoire ; mais les aspects fonctionnel, culturel et pragmatique de tout conte indigène ressortent surtout de la manière dont il est récité, de la voix, des gestes et de la mimique du conteur, ainsi que de ses rapports avec le contexte. Il est plus facile de transcrire une histoire que d’observer les liens diffus et complexes par lesquels elle se rattache à la vie ou d’étudier sa fonction en recherchant les vastes réalités sociales et culturelles dont elle fait partie. C’est bien pour cette raison que nous possédons tant de textes et savons si peu relativement à la véritable nature du mythe.

Aussi retournons-nous auprès des Trobriandais qui sont à même de nous fournir une leçon importante. Nous soumettons quelques-uns de leurs mythes à une analyse détaillée, dans l’espoir d’y trouver des arguments propres à apporter à nos conclusions une confirmation inductive, mais précise.

II

Les mythes relatifs aux origines

Commençons par le commencement des choses et examinons quelques-uns des mythes relatifs aux origines. Le monde, disent les indigènes, a reçu sa population primitive des sphères souterraines. L’humanité y avait mené une existence à tous égards semblable à celle de la vie actuelle sur la terre. Sous terre, les hommes étaient organisés en villages, clans et districts ; il existait parmi eux des distinctions de rang, ils possédaient des privilèges et des prérogatives, ils connaissaient la propriété et étaient initiés à la science magique. En possession de tout cela,