Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/108

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de pilote à la fois. Au milieu du voyage, alors qu’ils volaient au-dessus de la mer, entre la baie Wawela et l’île Kitava, le pou émet un cri perçant qui fait chavirer le papillon ; le pou tombe et se noie.

Un homme, qui a pour belle-mère une cannibale, se montre assez insouciant pour s’en aller et laisser à ses soins ses trois enfants. Il va sans dire qu’elle essaie de les manger ; mais ils s’enfuient à temps, grimpent sur un palmier, lui tiennent tête (ici l’histoire devient un peu longue), jusqu’à ce que le père revienne et la tue. Il existe une autre histoire dans laquelle il est question d’une visite au soleil, une autre qui parle d’un ogre dévastateur de jardins, une autre encore dont le principal personnage est une femme tellement gloutonne qu’elle vole toute la nourriture des distributions funéraires, et ainsi de suite.

Ici, cependant, nous concentrons notre attention moins sur le texte des récits que sur leur portée sociologique. Certes, le texte est extrêmement important, mais, isolé du contexte, il est sans vie. Ainsi que nous l’avons dit, c’est de la manière dont l’histoire est racontée qu’elle tire son principal intérêt et son caractère propre. La nature de la procédure, la voix et la mimique, la stimulation émanant du conteur et les répliques de l’assistance ont, pour les indigènes, autant de signification que le texte lui-même. Il faut également que la scène se déroule en temps voulu, à telle heure de la journée, en telle saison, qu’elle ait pour fond de tableau les jardins dont la végétation commence à bourgeonner en attendant les travaux à venir, dans une atmosphère d’influence magique et de conte de fées. Nous devons également tenir compte du texte sociologique fourni par l’institution de la propriété privée, par le rôle culturel de la fiction amusante et de la fonction qu’elle remplit au point de vue de la sociabilité. Tous ces éléments sont pareillement importants et méritent une étude aussi attentive que le texte. Les histoires tirent leur vie de la vie des indigènes et n’existent pas seulement sur le papier ; et lorsqu’un érudit les note, sans être capable d’évoquer l’atmosphère dans laquelle elles s’épanouissent, il ne donne qu’une image déformée de la réalité.

Je passe maintenant à une autre catégorie d’histoires. Celles-ci ne comportent ni saison spéciale, ni moyen stéréotypé de les