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FRANÇOIS DE MALHERBE

Les Larmes de Saint Pierre


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« QUE je porte d’envie à la troupe innocente
De ceux qui, massacrés d’une main violente,
Virent dès le matin leur beau jour accourci !
Le fer qui les tua leur donna cette grâce,
Que si de faire bien ils n’eurent pas l’espace,
Ils n’eurent pas le temps de faire mal aussi.

« De ces jeunes guerriers la flotte vagabonde
Allait courre fortune aux orages du monde,
Et déjà pour voguer abandonnait le bord,
Quand l’aguet d’un pirate arrêta leur voyage ;
Mais leur sort fut si bon que d’un même naufrage
Ils se virent sous l’onde et se virent au port.

« Ce furent de beaux lis, qui mieux que la nature
Mêlant à leur blancheur l’incarnate peinture
Que tira de leur sein le couteau criminel,
Devant que d’un hiver la tempête et l’orage
À leur teint délicat pussent faire dommage,
S’en allèrent fleurir au printemps éternel…

« Le peu qu’ils ont vécu leur fut grand avantage,
Et le trop que je vis ne me fait que dommage.
Cruelle occasion du souci qui me nuit !
Quand j’avais de ma foi l’innocence première,
Si la nuit de la mort m’eût privé de lumière,
Je n’aurais pas la peur d’une immortelle nuit.