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NOTICE

l’innocence, » est invoquée avec un à-propos si terrible que l’homme de la guillotine, ne voulant point qu’on chantât de tels vers, en commanda d’autres, sur le même rythme, à un certain Théodore Desorgnes, afin qu’on pût utiliser la musique, déjà écrite par Gossec.

Il y a pourtant quelque chose de plus beau dans l’œuvre de Marie-Joseph, c’est l’Hymne du 9 Thermidor, chanté à la Convention, le 27 Juillet 1795, pour l’anniversaire du jour où la chute de Robespierre avait arrêté la Terreur, deux jours trop tard, hélas ! pour qu’André ne portât pas sur l’échafaud sa noble tête. Ici encore, sans doute, un peu trop de pompe à la romaine ; mais quelle émotion nous saisit quand, à l’évocation des ombres sanglantes, nous voyons apparaître, sans que Marie-Joseph nous l’ait désigné autrement que par ces deux mots, « talents, vertus, » le fantôme de ce frère, et quand, au nom même des victimes, le poète demande à la République d’être clémente à leurs assassins !

Il ne quitta les Assemblées qu’en 1802. L’astre de Bonaparte montait de plus en plus haut sur l’horizon. Chénier avait d’abord salué le général victorieux, approuvé même le coup d’État du 18 Brumaire ; puis comprenant que, ce jour-là, dans l’Orangerie de Saint-Cloud, la République avait commencé de mourir, il se détourna du Consul et, au lendemain du couronnement de l’Empereur, il écrivit la belle élégie de La Promenade qui est, en même temps que son chef-d’œuvre, son testament de citoyen et de poète. Il y apparaît tout entier, fidèle, étroitement mais noblement, à son double idéal classique et républicain, avec une nuance de mélancolie, comme s’il souffrait de survivre au siècle qui vient de finir, et de ne pouvoir, comme les derniers venus, aspirer dans la joie les souffles du siècle qui commence, acquiescer à la grandeur des événements et des idées qui ont de nouveau bouleversé le monde.

Nous sommes en 1805 ; voilà quatre ans bientôt qu’Atala et le Génie du Christianisme ont paru, renouvelant la sensibilité française ; et il n’a trouvé, pour les accueillir, que des ironies voltairiennes, sans rien pressentir de tout ce qui s’y trouvait en germe. Il demeurera dans cette incompréhension jusqu’à sa mort. Mais en 1811, comme pour une symbolique entrée de la poétique nouvelle,