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NOTICE

6 000 livres suffira pour qu’il loue Bonaparte, du même cœur qu’il avait loué Robespierre.

Eh bien, ce caractère vil, ce cœur atroce, a dans l’imagination, rien que dans l’imagination, une espèce de grandeur singulière. Il est capable de s’exalter, non pour des sentiments, mais pour des idées et des livres, pour l’Esprit de Lois de Montesquieu, par exemple, ou pour les Époques de la Nature de Buffon, son héros favori, qui lui inspirera deux odes dont quelques passages approchent du sublime. Il y atteindra une fois, malgré l’emphase du début, dans l’Ode sur le Vaisseau le Vengeur ; et pour ne pas être trop choqué de ce début même, remarquons qu’il est en harmonie avec le goût néo-romain qui règne partout alors, aussi bien dans un tableau de Louis David que dans un meuble de Percier ou dans un discours de Robespierre : c’est presque du style.

Lebrun est le plus inégal des poètes : tel fragment de son ode sur l’Enthousiasme, par son emportement lyrique et ses audaces verbales, annonce les Mages de Victor Hugo :

Il t’embrasait, ô Galilée,
Quand la terre entendit ta voix,
Et que, loin du centre exilée,
Elle parut suivre tes lois.
Newton, roi des sphères célestes,
Tu le respires, tu l’attestes
Dans tes calculs audacieux ;
Franklin maîtrise le tonnerre,
Et Montgolfier, fuyant la terre,
Se précipite dans les cieux.

Les âmes, de gloire effrénées,
Par un essor inattendu,
Se plongent dans leurs destinées
À travers l’obstacle éperdu :
Un enthousiasme héroïque,
S’ouvrant les ondes du Granique,
D’Alexandre enflamme l’espoir,
Soumet la terre à sa fortune,
Et le montre au dernier Neptune,
Tous deux étonnés de se voir.

Mais déjà faiblit la fin de la strophe. Et si nous