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NOTICE

appelait « le tyran des mots et des syllabes. » Régnier est pour le caprice contre la règle, pour la nonchalance contre le travail :

Ses nonchalances sont ses plus grands artifices,


dit-il de lui même. Quant à Malherbe et à ses sectateurs, voici comment il les prend à partie :

Pensent-ils, des plus vieux effaçant la mémoire,
Par le mépris d’autrui s’acquérir quelque gloire,
Et pour quelque vieux mot étrange ou de travers
Prouver qu’ils ont raison de censurer leurs vers ?
Alors qu’une œuvre brille et d’art et de science,
La verve quelquefois s’égaye en la licence…
Cependant leur savoir ne s’étend seulement
Qu’à regratter un mot douteux au jugement.
Prendre garde qu’un qui ne heurte une diphtongue,
Épier si des vers la rime est brève ou longue.
Ou bien si la voyelle, à l’autre s’unissant,
Ne rend point à l’oreille un vers trop languissant.
Et laissant sur le vert le noble de l’ouvrage.
Nul aiguillon divin n’élève leur courage ;
Ils rampent bassement, faibles d’inventions,
Et n’osent, peu hardis, tenter les fictions.
Froids à l’imaginer : car s’ils font quelque chose.
C’est proser de la rime et rimer de la prose.

On sent tout ce qu’il y a d’injustices, à côté des justes reproches, dans ces vers qui ont raison de revendiquer la part de l’inspiration géniale, et tort de réclamer le droit à la licence, aussi bien que de dénier à Malherbe et aux siens la noblesse du vol lyrique. Le dernier vers n’atteint que les faiblesses de leur œuvre ; et c’est plutôt Boileau, avec toute sa suite de poètes purement raisonnables et raisonneurs, que Régnier semble ici prévoir. Ils sont encore loin.

Voici en effet, autour d’une table, au cabaret du Cormier ou à celui de la Pomme de Pin, un groupe désordonné, pittoresque et sonore que domine, haut en couleur, moustache en croc, feutre sur l’oreille, le