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NOTICE

Fixé à Paris, Malherbe va s’appliquer plus vigoureusement que jamais aux deux tâches qu’il s’est assignées : poète officiel par la faveur du roi, il célébrera les petits événements de la Cour et les grands événements de l’histoire ; pédagogue par vocation, il entreprendra de réformer la poésie et de régenter les poètes.

Voyons le d’abord dans ce dernier rôle. Il le joue en toute occasion et en tout lieu : dans les galeries du Louvre, parmi les beaux esprits qu’on y rencontre ; à l’Hôtel du Pré aux Clercs, où Marguerite de Valois, l’épouse divorcée du roi, trône encore, familièrement, au milieu des écrivains et des artistes ; un peu plus tard, dans la fameuse « chambre bleue » de la Marquise de Rambouillet ; chez la Vicomtesse d’Aulchy, où se tient un autre cercle de « précieuses ; » chez Madame de Thermes, où le mène son ami Racan ; chez Madame des Loges enfin, une simple bourgeoise, mais si fine et si lettrée qu’elle n’en reçoit pas moins la plus noble et la plus diserte compagnie.

Partout où il entre et où l’on parle de poésie d’une manière qui ne lui agrée point, il reprend, il rabroue, il affirme, il tranche, toujours brusque, souvent brutal, parfois incivil jusqu’à la grossièreté la plus révoltante. Il faut, pour qu’on lui passe ses boutades, qu’on ait de complaisants égards pour la force de ses convictions et pour la droiture de son désagréable caractère. Il faut, aussi, qu’on n’appartienne pas à la confrérie des poètes ; mais c’est là, précisément, qu’il se plaît à chercher des victimes. Un jour, ayant accepté de dîner chez Desportes, il arrive en retard, quand le potage est déjà sur la table. Desportes, pour faire honneur à son hôte, n’en veut pas moins aller d’abord quérir, à son intention, un exemplaire de ses Poésies chrétiennes, qui viennent de paraître. « Inutile, s’écrie Malherbe. Je les ai déjà lues ; cela ne vaut pas que vous preniez la peine de remonter : votre potage vaut mieux que vos psaumes. » Et il commence, tranquillement, à manger le potage. Mathurin Régnier, neveu du maître de la maison, était présent ; il n’oubliera pas, nous le verrons bientôt, cette injure faite à son oncle.

Enfin, c’est chez lui même que, presque tous les soirs, Malherbe tient bureau de poésie et de dispute. Il loge