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NOTICE

prenait pour aller tenir les grands jours en Limousin, voyage où il risquait sa vie, car Limoges était alors le centre des intrigues et des complots contre son autorité nouvelle. Malherbe comprit la gravité des circonstances, la grandeur du rôle de ce roi dans le cœur de qui bat maintenant le cœur de la France, et il écrivit un chef-d’œuvre.

Henri IV a reconnu son poète ; il charge son grand écuyer, le duc de Bellegarde, de se l’attacher avec mille francs d’appointements, plus l’entretien d’un homme et d’un cheval. Ce n’est guère encore ; il fera davantage un peu plus tard, quand la fortune publique sera mieux rétablie ; mais voilà Henri IV et Malherbe indissolublement unis désormais. Entre eux, la familiarité est telle que, lorsque Henri lui montre, de sa façon, des vers déplorables, Malherbe peut se permettre de les parodier séance tenante, à la barbe du bon roi, qui ne fait qu’en rire. Le malheur est que, au lieu de se contenter des odes que le poète écrit à propos des grands événements de son règne, le roi lui en commande pour favoriser ses amours, pour parler en son nom à ses maîtresses. Et Malherbe, sans hésitation, exprime comme il peut les appels, les plaintes, les soupirs du « grand Alcandre » pour la cruelle « Oranthe, » c’est-à-dire de Henri IV pour la belle Charlotte de Montmorency, princesse de Condé, qui fuit à l’étranger les poursuites royales.

André Chénier écrira ici un jour, en marge de son Malherbe : « Je n’aime point à voir la lyre devenir entremetteuse. » Et il ajoutera que ces vers sont bien froids, mais pas plus que les vers d’amour que Malherbe fera pour son propre compte, attendu « qu’il n’a jamais aimé. » Ce n’est pas, en effet, qu’il ait manqué à la coutume d’élire une maîtresse poétique et de célébrer, avec des flammes à la glace, sous le nom de Rodanthe Madame de Rambouillet, et Madame d’Aulchy sous le nom de Caliste ; mais pour n’être point jalouse. Madame de Malherbe n’aurait eu qu’à lire les poèmes adressés par son époux à ces belles dames.

Au reste, le poète a laissé sa femme en Provence, où il n’ira lui faire visite, à de longs intervalles, que deux fois en vingt-trois années. Il a trouvé préférable de lui confier l’éducation de son fils. Et ainsi l’absence préserve de tout orage l’union entre les membres de cette famille.