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TRISTAN L’HERMITE


  Si l’Amour allait au tombeau
  Par un noir effet de l’envie,
  Tes baisers lui rendraient la vie
  Et rallumeraient son flambeau.
  Leur aimable délicatesse
  A banni toute la tristesse
  Qui rendait mon sens confondu ;
Mais un roi détrôné par le malheur des armes,
  À la faveur des mêmes charmes
Se pourrait consoler d’un empire perdu.

  La manne fraîche d’un matin
  N’a point une douceur pareille,
  Ni l’esprit que cherche l’abeille
  Sur la buglose et sur le thym.
  Le meilleur sucre qui s’amasse
  Et que l’Art sait réduire en glace
  N’a point ces appâts ravissants ;
Et même le nectar semblerait insipide,
  Au prix de ce baiser humide
Dont tu viens de troubler l’office de mes sens.

  Aussi les plus riches trésors,
  Qu’on tire du sein de la terre,
  Et que, pour engendrer la guerre,
  L’Océan sème sur ses bords,
  L’or et toutes les pierreries,
  Dont nous provoquent les Furies,
  Pour envenimer nos esprits ;
Bref tout ce que l’aurore a de beau dans sa couche,
  Au prix des baisers de ta bouche
Sont à mes sentiments des objets de mépris.

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