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L’ÉCOLE CLASSIQUE

Et la rage des vents brise plutôt le faîte
Des maisons de nos rois que les toits des bergers.

Ô bienheureux celui qui peut de sa mémoire
Effacer pour jamais ce vain espoir de gloire,
Dont l’inutile soin traverse nos plaisirs,
Et qui, loin retiré de la foule importune,
Vivant dans sa maison, content de sa fortune,
A, selon son pouvoir, mesuré ses désirs !

Il laboure le champ que labourait son père ;
Il ne s’informe point de ce qu’on délibère
Dans ces graves conseils d’affaires accablés ;
Il voit sans intérêt la mer grosse d’orages,
Et n’observe des vents les sinistres présages,
Que pour le soin qu’il a du salut de ses blés…

Il voit de toutes parts combler d’heur sa famille,
La javelle à plein poing tomber sous sa faucille,
Le vendangeur ployer sous le faix des paniers,
Et semble qu’à l’envi les fertiles montagnes,
Les humides vallons et les grasses campagnes
S’efforcent à remplir sa cave et ses greniers.

Il suit aucune fois un cerf par les foulées,
Dans ces vieilles forêts du peuple reculées
Et qui même du jour ignorent le flambeau ;
Aucune fois des chiens il suit les voix confuses,
Et voit enfin le lièvre, après toutes ses ruses,
Du lieu de sa naissance en faire son tombeau.

Tantôt il se promène au long de ses fontaines,
De qui les petits flots font luire dans les plaines
L’argent de leurs ruisseaux parmi l’or des moissons ;
Tantôt il se repose, avecque les bergères,
Sur des lits naturels de mousse et de fougères,
Qui n’ont autres rideaux que l’ombre des buissons.