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STANCES.


Certes l’autre soleil, d’une erreur vagabonde,
Court inutilement par ses douze maisons :
C’est elle, et non pas luy, qui fait sentir au monde
Le change des saisons.

Avecque sa beauté toutes beautez arrivent ;
Ces desers sont jardins de l’un à l’autre bout,
Tant l’extrême pouvoir des grâces qui la suivent
Les penetre par tout.

Ces bois en ont repris leur verdure nouvelle ;
L’orage en est cessé, l’air en est éclaircy,
Et mesme ces canaux ont leur course plus belle
Depuis qu’elle est icy.

De moy, que les respects obligent au silence,
J’ay beau me contrefaire et beau dissimuler,
Les douceurs où je nage ont une violence
Qui ne se peut celer.

Mais, ô rigueur du sort ! tandis que je m’arreste
À chatouiller mon ame en ce contentement,
Je ne m’apperçois pas que le Destin m’appreste
Un autre partement.

Arriere ces pensers que la crainte m’envoye !
Je ne sçay que trop bien l’inconstance du sort ;
Mais de m’oster le goust d’une si chere joye,
C’est me donner la mort.