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STANCES.


Il n’est rien icy-bas d’eternelle durée :
Une chose qui plaist n’est jamais asseurée ;
L’épine suit la rose, et ceux qui sont contens
Ne le sont pas long-temps.

Et puis qui ne sçait point que la mer amoureuse
En sa bonace mesme est souvent dangereuse,
Et qu’on y voit tousjours quelques nouveaux rochers,
Incognus aux nochers ?

Déja de toutes parts tout le monde m’eclaire ;
Et bien-tost les jaloux, ennuyez de se taire,
Si les vœux que je fais n’en detournent l’assaut
Vont médire tout haut.

Peuple, qui me veux mal, et m’imputes à vice
D’avoir esté payé d’un fidelle service,
Où trouves-tu qu’il faille avoir semé son bien,
Et ne recueillir rien ?

Voudrois-tu que ma dame, estant si bien servie
Refusast le plaisir où l’âge la convie,
Et qu’elle eust des rigueurs à qui mon amitié
Ne sceust faire pitié ?

Ces vieux contes d’honneur, invisibles chimeres,
Qui naissent aux cerveaux des maris et des meres,
Estoient-ce impressions qui pûssent aveugler
Un jugement si clair ?