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Si un homme aperçoit et goûte un objet, Dieu le crée apercevant et goûtant cet objet ; et, s’il consent au mouvement qui s’excite en lui, s’il se repose dans cet objet, Dieu le crée se reposant et s’arrêtant à cet objet. Dieu le fait tel qu’il est dans ce moment ; il crée en lui son consentement auquel il n’a pas plus de part que les corps au mouvement qui les transporte.

Je réponds que Dieu nous crée parlants, marchants, pensants, voulants, qu’il cause en nous nos perceptions, nos sensations, nos mouvements, en un mot qu’il fait en nous tout ce qu’il y a de réel ou de physique, ainsi que je l’ai expliqué ci-dessus. Mais je nie que Dieu nous fasse consentants, précisément en tant que consentants, ou reposant dans un bien particulier ou apparent. Dieu nous crée seulement sans cesse pouvant nous arrêter à tel bien. Cela est évident, car, puisque Dieu nous crée sans cesse voulant être heureux, puisqu’il nous pousse sans cesse vers le bien en général, vers tout bien, il est clair que ce n’est pas lui qui nous arrête à tel bien. Il nous porte vers tel bien en conséquence des lois de l’union de l’âme et du corps ou autrement ; soit ; mais il y a contradiction qu’il nous y porte invinciblement tant que ce bien ne remplit pas le désir naturel et invincible que nous avons pour tout bien. Dieu nous crée donc, non précisément en tant que consentants ou suspendant notre consentement, mais pouvant le donner ou le suspendre. car Dieu nous créant sans cesse, non pouvant vouloir, mais voulant être heureux, et notre esprit étant borné, il nous fallait du temps pour examiner si tel bien était vrai ou faux, et même si, en s’arrêtant à tel bien représenté ou senti comme vrai bien, ou cause du plaisir actuel, ce bien ne deviendrait point un mal, à cause que s’y arrêtant, on perdrait la possession d’un plus grand bien.

Il suit de ce que je viens de dire :

1) Que nous sommes prédéterminés physiquement vers le bien en général, puisque nous voulons invinciblement être heureux, et que le désir du bonheur est en nous sans nous.

2) Que nous sommes aussi prédéterminés physiquement vers les biens particuliers, en ce sens que nous sommes poussés vers ce que nous connaissons ou que nous goûtons comme bon. Le mouvement naturel de l’âme vers les biens particuliers n’est en effet qu’une suite naturelle de son mouvement vers le bien en général. Ainsi tout plaisir est efficace par lui-même par rapport