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Quand je dis que nous avons sentiment intérieur de notre liberté, je ne prétends pas soutenir que nous ayons sentiment intérieur d’un pouvoir de nous déterminer à vouloir quelque chose sans aucun motif physique, pouvoir que quelques gens appellent indifférence pure. Un tel pouvoir me paraît renfermer une contradiction manifeste. On le voit assez si l’on a bien pris ce que je viens de dire, car il est clair q’il faut un motif, qu’il faut pour ainsi dire sentir, avant que de consentir. Il est vrai que souvent nous ne pensons pas au motif qui nous a fait agir ; mais c’est que nous n’y faisons pas réflexion, surtout dans les choses qui ne sont pas de conséquence. Certainement il se trouve toujours quelque motif secret et confus dans nos moindres actions ; et c’est même ce qui porte quelques personnes à soupçonner et quelques fois à soutenir qu’ils ne sont pas libres, parce qu’en examinant avec soin, ils découvrent les motifs cachés et confus qui les font vouloir. Il est vrai qu’ils ont été agis, pour ainsi dire, qu’ils ont été mus, mais ils ont aussi agi par l’acte de leur consentement, acte qu’ils avaient le pouvoir de ne pas donner dans le moment qu’ils l’ont donné ; pouvoir, dis-je, dont ils avaient sentiment intérieur dans le moment auquel ils en ont usé, et qu’ils n’auraient osé nier, si dans ce moment on les eût interrogés. Quand je dis donc que nous avons un sentiment intérieur, et qui ne peut être trompeur de notre liberté, je ne l’entends pas de l’indifférence pure, qui nous mettrait dans une espèce d’indépendance de la conduite de Dieu sur nous, ou des motifs physiques qu’il produit en nous par lesquels il sait ou peut nous faire vouloir et exécuter librement tout ce qu’il veut ; je l’entends de ce pouvoir actuel que nous avons de suspendre notre consentement à l’égard des motifs qui nous sollicitent et nous pressent de le donner, lorsque ces motifs ne remplissent pas, pour ainsi dire, toute la capacité de l’âme. J’avoue cependant que ce pouvoir n’est pas égal dans tous les hommes, ni même dans la même personne en différents temps, ainsi que j’ai exliqué ailleurs (Traité de la nature et de la grâce, III).

Je ne m’arrête pas à prouver notre liberté par le détail des suites affreuses de l’erreur de ceux qui la nient. On voit assez