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ce désir naturel que nous avons tous pour le bonheur, dépend de nous en ce sens qu’il n’est point invincible à l’égard des biens particuliers. Car, lorsqu’un bien particulier nous est présenté, nous avons sentiment intérieur de liberté à son égard, comme nous en avons de notre plaisir et de notre douleur, lorsque nous sentons. Nous sommes mêmes convaincus de notre liberté par la même raison qui nous convainc de notre existence, car c’est le sentiment intérieur que nous avons de nos pensées qui nous apprend que nous sommes. Et, si dans le temps que nous sentons notre liberté à l’égard d’un bien particulier, nous devons douter que nous soyons libres, à cause que nous n’avons point d’idée claire de notre liberté, il faudra aussi douter de notre douleur et de notre existence dans le temps même que nous sommes malheureux, puisque nous n’avons pâs d’idée claire de notre âme, ni de notre douleur, mais seulement sentiment intérieur.

Il n’en est pas de même su sentiment intérieur, comme de nos sens extérieurs. Ceux-ci nous trompent toujours en quelque chose, lorsque nous suivons leur rapport mais notre sentiment intérieur ne nous trompe jamais. C’est par mes sens extérieurs que je vois les couleurs sur la surface des corps, que j’entends le son dans l’air, que je sens la douleur de ma main ; et je tombe dans l’erreur, si je juge de ces choses sur le rapport de mes sens. Mais c’est par sentiment intérieur, que je sais bien que je vois de la couleur, que j’entends un son, que je souffre de la douleur ; et je ne me trompe point de croire que je vois lorsque je vois, que j’entends lorsque j’entends, que je souffre lorsque je souffre, pourvu que j’en demeure là. je n’explique pas ces choses plus au long, car elles sont évidentes par elles-mêmes. Ainsi, ayant sentiment intérieur de notre liberté dans le temps qu’un bien particulier se présente à notre esprit, nous ne devons pas douter que nous soyions libres à l’égard de ce bien. Cependant, comme l’on n’a pas toujours ce sentiment intérieur, et qu’on ne consulte quelque fois que ce qui nous en reste dans la mémoire d’une manière fort confuse, on peut, en pensant à des raisons abstraites,