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que nous ne pouvons pas penser actuellement à d’autres qu’à ceux qui nous causent des sentiments trop vifs, il est visible que la dépendance où nous sommes de notre corps diminue notre liberté, et nous en ôte même entièrement l’usage en beaucoup de rencontres. Ainsi nos sentiments effaçant nos idées, et l’union que nous avons avec notre corps, par laquelle nous ne voyons que ce qui a rapport à lui, l’esprit ne doit point de laisser partager par des sentiments confus, s’il veut conserver parfaitement libre le principe de ses déterminations.

Il est évident de tout ceci que Dieu n’est point auteur du péché, et que l’homme ne se donne point à soi-même de nouvelles modifications. Dieu n’est point auteur du péché, puisqu’il imprime nécessairement à celui qui pèche, ou qui s’arrête à un bien particulier, du mouvement pour aller plus loin, qu’il lui donne le pouvoir de penser à d’autres choses, et de se porter à d’autres bien qu’à celui qui est l’objet de sa pensée et de son amour, qu’il lui ordonne de ne point aimer tout ce qu’il peut s’empêcher d’aimer, sans être inquiété par des remords, et qu’il le rappelle sans cesse à lui par les reproches secrets de sa raison.

Il est vrai en un sens que Dieu porte le pécheur à aimer l’objet de son péché, si cet objet paraît un bien au pécheur, car, comme disent presque tous les théologiens, tout ce qu’il y a de physique, d’acte, de mouvement dans le péché vient de Dieu. Mais ce n’est que par un faux jugement de notre esprit que les créatures nous paraissent bonnes, je veux dire capables d’agir en nous, et de nous rendre heureux. Le péché d’un homme consiste en ce qu’il ne rapporte pas tous les biens particuliers au souverain bien, ou plutôt qu’il ne considère et qu’il n’aime pas