comme elle devrait faire, que la lumière n’est et ne peut être une propriété ou une modification de la matière, et qu’elle n’est qu’au dedans d’elle-même ; parce qu’elle ne pense pas à se servir de sa raison pour découvrir la vérité de ce qui en est, mais seulement de ses sens, qui ne la découvrent jamais et qui ne sont donnés que pour la conservation du corps.
Or, la cause pour laquelle l’âme ne se sert pas de sa raison, c’est-à-dire de sa pure intellection, quand elle considère un objet qui peut être aperçu par les sens, c’est que l’âme n’est point touchée par les choses qu’elle aperçoit par la pure intellection, et qu’au contraire elle l’est très-vivement par les choses sensibles ; car l’âme s’applique fort à ce qui la touche beaucoup, et elle néglige de s’appliquer aux choses qui ne la touchent pas. Ainsi, elle conforme presque toujours ses jugements libres aux jugements naturels de ses sens.
Pour juger donc sainement de la lumière et des couleurs, aussi bien que de toutes les autres qualités sensibles, on doit distinguer avec soin le sentiment de couleur d’avec le mouvement du nerf optique, et reconnaître, par la raison, que les mouvements et les impulsions sont des propriétés des corps, et qu’ainsi ils se peuvent rencontrer dans les objets et dans les organes de nos sens ; mais que la lumière et les couleurs que l’on voit sont des modifications de l’âme bien différentes des autres, et desquelles aussi l’on a des idées bien différentes.
Car il est certain qu’un paysan, par exemple, voit fort bien les couleurs et qu’il les distingue de toutes les choses qui ne sont point couleur ; il est de même certain qu’il n’aperçoit point de mouvement ni dans les objets colorés ni dans le fond de ses yeux. Donc la couleur n’est point du mouvement. De même, un paysan sent fort bien la chaleur, et il en a une connaissance assez claire pour la distinguer de toutes les choses qui ne sont point chaleur ; cependant il ne pense pas seulement que les fibres de sa main soient remuées. La chaleur, qu’il sent n’est donc point un mouvement, puisque les idées de chaleur et de mouvement sont différentes, et qu’il peut avoir l’une sans l’autre. Car il n’y a point d’autre raison pour dire qu’un carré n’est pas un rond, que parce que l’idée d’un carré est différente de celle d’un rond, et que l’on peut penser à l’une sans penser à l’autre.
Il ne faut qu’un peu d’attention pour reconnaître qu’il n’est pas nécessaire que la cause qui nous fait sentir telle ou telle chose la contienne en soi. Car, de même qu’il ne faut pas qu’il y ait de la lumière dans ma main afin que l’on voie quand je me frappe les