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celles qui ne sont pas seulement accompagnées de vestiges dans le cerveau, mais encore de quelque mouvement des esprits vers les parties intérieures du corps, c’est-à-dire de quelques mouvements des esprits, propres à exciter les passions, comme nous expliquerons ailleurs.

Les sensations faibles et languissantes sont celles qui touchent fort peu l’âme, et qui ne lui sont ni fort agréables ni fort incommodes, comme la lumière médiocre, toutes les couleurs, les sons ordinaires et assez faibles, etc.

Enfin, j’appelle moyennes entre les fortes et les faibles ces sortes de sensations qui touchent l’âme médiocrement, comme une grande lumière, un son violent, etc. Or, il faut remarquer qu’une sensation faible et languissante peut devenir moyenne, et enfin forte et vive. La sensation, par exemple, qu’on a de la lumière est faible quand la lumière d’un flambeau est languissante ou que le flambeau est éloigné ; mais cette sensation peut devenir moyenne si l’on approche le flambeau assez près de nous ; et enfin, elle peut devenir très-forte et très-vive si l’on approche le flambeau si près de ses yeux qu’on en soit ébloui, ou bien quand on regarde le soleil. Ainsi la sensation de la lumière peut être forte, faible ou moyenne, selon ses différens degrés.

V. Voici donc les jugements que notre âme fait de ces trois sortes de sensations, où nous pouvons voir qu’elle suit presque toujours aveuglément les impressions sensibles ou les jugements naturels des sens, et qu’elle se plait pour ainsi dire à se répandre sur tous les objets qu’elle considère en se dépouillant de ce qu’elle a pour les en revêtir.

Les premières de ces sensations sont si vives et si touchantes, que l’âme ne peut presque s’empêcher de reconnaître qu’elles lui appartiennent en quelque façon, de sorte qu’elle ne juge pas seulement qu’elles sont dans les objets, mais elle les croit aussi dans les membres de son corps, lequel elle considère comme une partie d’elle-même. Ainsi elle juge que le froid et le chaud ne sont pas seulement dans la glace et dans le feu, mais qu’ils sont aussi dans ses propres mains.

Pour les sensations languissantes, elles touchent si peu l’âme. qu’elle ne croit pas qu’elles lui appartiennent ni qu’elles soient au dedans d’elle-même, ni aussi dans son propre corps, mais seulement dans les objets. C’est pour cette raison que nous ôtons la lumière et les couleurs à notre âme et à nos propres yeux pour en parer les objets de dehors, quoique la raison nous apprenne qu’elles ne se trouvent point dans l’idée que nous avons de la matière, et