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tête ; et c’est là la raison pour laquelle son diamètre s’agrandit lorsqu’elle monte sur l’horizon, parce qu’alors elle s’approche de nous.

Ce qui fait donc que nous la voyons plus grande lorsqu’elle se lève n’est point la réfraction que souffrent ses rayons dans les vapeurs qui sortent de la terre, puisque l’image qui est formée de ces rayons est alors plus petite ; mais c’est le jugement naturel qui se forme en nous de son éloignement, à cause qu’elle nous paraît au delà des terres que nous voyons fort éloignées de nous, comme l’on a expliqué auparavant ; et l’on s’étonne que des philosophes tiennent que la raison de cette apparence et de cette tromperie de nos sens soit plus difficile à trouver que les plus grandes équations d’algèbre.

Ce moyen que nous avons pour juger de l’éloignement de quelque objet par la connaissance de la distance des choses qui sont entre nous et lui, nous est souvent assez utile quand les autres moyens dont j’ai parlé ne nous peuvent de rien servir ; car nous pouvons juger par ce dernier moyen que de certains objets sont éloignés de nous de plusieurs lieues, ce que nous ne pouvons pas faite par les autres. Cependant si on l’examine on y trouvera plusieurs défauts.

Car premièrement ce moyen ne nous sert que pour les objets qui sont sur la terre, puis qu’on n’en peut faire usage que très-rarement et même fort inutilement pour ceux qui sont dans l’air ou dans les cieux. Secondement, on ne s’en peut servir sur la terre que pour des choses éloignées de peu de lieues. En troisième lieu, il faut être assuré qu’il ne se trouve entre nous et l’objet ni vallées, ni montagnes, ni autre chose semblable qui nous empêche de nous servir de ce moyen. Enfin je crois qu’il n’y a personne qui n’ait fait assez d’expériences sur ce sujet pour être persuadé qu’il est extrêmement difficile de juger avec quelque certitude de l’éloignement des objets par la vue sensible des choses qui se trouvent entre eux et nous, et on ne s’y est peut-être que trop arrêté.

Voilà tous les moyens que nous avons pour juger de la distance des objets ; on y a fait remarquer des défauts considérables, et on en doit conclure que les jugements qui sont appuyés sur des moyens si peu sûrs doivent être aussi très-incertains.

Il est facile de là de faire voir la vérité des propositions que j’ai avancées. On a supposé l’objet C assez éloigné d’A, dont il peut en plusieurs rencontres s’avancer vers D ou s’approcher vers B, sans qu’on le reconnaisse, puisqu’on n’a pas de moyen assuré pour juger de sa distance. Il peut même reculer vers D lorsqu’on le croira s’approcher vers B parce que l’image de l’objet s’augmente et s’agrandit quelquefois sur le nerf optique, soit à cause que la