les mouvements de nos passions et que nous n’arrêtons point le cours des esprits que la vue de l’objet de la passion cause dans notre corps, pour le mettre en l’état où il doit être par rapport à cet objet, l’âme reçoit par les lois de la nature ce sentiment de douceur et de satisfaction intérieure, à cause que le corps est dans l’état où il doit être. Au contraire, lorsque l’âme, suivant les règles de la raison, arrête ce cours des esprits et résiste à ces passions, elle souffre de la peine à proportion du mal qui en pourrait arriver au corps.
Car de même que la réflexion que l’âme fait sur elle est nécessairement accompagnée de la joie ou de la tristesse de l’esprit, et ensuite de la joie ou de la tristesse des sens ; lorsque faisant son devoir et se soumettant aux ordres de Dieu elle reconnaît qu’elle est dans l’état où elle doit être, ou que s’abandonnant à ses passions elle est touchée de remords qui lui apprennent qu’elle est dans une mauvaise —disposition ; ainsi le cours des esprits excité pour le bien du corps est accompagné de joie ou de tristesse sensible et ensuite de joie ou de tristesse spirituelle, selon que ce cours d’esprits animaux est empêché ou favorisé par la volonté.
Mais il y a cette différence remarquable entre la joie intellectuelle qui accompagne la connaissance claire du bon état de l’âme et le plaisir sensible qui accompagne le sentiment confus de la bonne disposition du corps, que la joie intellectuelle est solide, sans remords, et aussi immuable que la vérité qui la cause ; et que la joie sensible est presque toujours accompagnée de la tristesse de l’esprit ou du remords de la conscience, qu’elle est inquiète et aussi inconstante que la passion ou l’agitation du sang qui la produit. Enfin la première est presque toujours accompagnée d’une très-grande joie des sens, lorsqu’elle est une suite de la connaissance d’un grand bien que l’âme possède ; et l’autre n’est presque jamais accompagnée de quelque joie de l’esprit, quoiqu’elle soit une suite d’un grand bien qui arrive settlement au corps, mais qui est contraire au bien de l’âme.
Il est pourtant vrai que, sans la grâce de Jésus-Christ, la douceur que l’âme goûte en s’abandonnant à ses passions est plus agréable que celle qu’elle ressent en suivant les règles de la raison. Et c’est cette douceur qui est l’origine de tous les désordres qui ont suivi le péché originel ; et elle nous rendrait tous esclaves de nos passions, si le fils de Dieu ne nous délivrait de leur servitude par la délectation de sa grâce. Car enfin les choses que je viens de dire pour la joie de l’esprit contre la joie des sens ne sont vraies que parmi les chrétiens ; et elles étaient absolument fausses dans la