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et de choses semblables, et de ne point nous réjouir dans les heureux succès de nos affaires ; car nous sommes unis à notre patrie, à nos biens, à nos parents, etc., par une union naturelle et qui présentement ne dépend point de notre volonté.

Je veux bien que la raison nous apprenne que nous devons souffrir l’exil sans tristesse, mais la même raison nous apprend que nous devons aussi souffrir qu'on nous coupe un bras sans douleur. L’âme est au-dessus du corps, et, selon la lumière de la raison, son bonheur ou son malheur ne doivent point dépendre de lui. Mais l’expérience nous prouve assez que les choses ne sont point comme notre raison nous dit qu’elles doivent être, et il est ridicule de philosopher contre l’expérience.

Ce n’est pas ainsi que les chrétiens philosophent. Ils ne nient pas que la douleur soit un mal, qu’il n'y ait de la peine dans la désunion des choses auxquelles nous sommes unis par la nature, et qu’il ne soit difficile de se délivrer de l’esclavage où le péché nous a réduits. Ils tombent d’accord que c’est un désordre que l’âme dépende de son corps ; mais ils reconnaissent qu’elle en dépend, et de telle manière, qu’elle ne se peut délivrer de sa dépendance que par la grâce de Jésus-Christ : Je sens, dit saint Paul, une loi dans mon corps qui combat contre la loi de mon esprit, et qui me rend esclave de la loi du péché qui est dans mes membres. Malheureux que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? ce sera la grâce de Dieu, par Jésus-Christ notre Seigneur. Le fils de Dieu, ses apôtres et tous ses véritables disciples recommandent surtout la patience, parce qu’ils savent que quand on veut vivre en homme de bien, il y a beaucoup à souffrir. Enfin les vrais chrétiens ou les véritables philosophes ne disent rien qui ne soit conforme au bon sens, à l’expérience ; mais toute la nature résiste sans cesse à l’opinion ou à l’orgueil des stoïques.

Les chrétiens savent que pour se délivrer en quelque manière de la dépendance où ils sont, ils doivent travailler à se priver de toutes les choses dont ils ne peuvent jouir sans plaisir ni être privés sans douleur ; que c’est là le seul moyen de conserver la paix et la liberté de l’esprit qu’ils ont reçues par la grâce de leur libérateur. Les stoïciens, au contraire, suivant les fausses idées de leur philosophie chimérique, s’imaginent d’être sages et heureux, et qu’il n’y a qu’à penser à la vertu et à l’indépendance pour devenir vertueux et indépendants. Le bon sens et l’expérience nous assurent. que le meilleur moyen pour n’être point blessés par la douleur d’une piqûre, c’est qu’il ne faut point se piquer. Mais les stoïciens disent « Piquez, et je vais, par la force ne mon esprit et par le se-