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Les passions de l’âme sont des impressions de l’auteur de la nature, lesquelles nous inclinent à aimer notre corps et tout ce qui peut être utile à sa conservation ; comme les inclinations naturelles sont des impressions de l’auteur de la nature, lesquelles nous portent principalement à l’aimer comme souverain bien et notre prochain sans rapport au corps.

La cause naturelle ou occasionnelle de ces impressions est le mouvement des esprits animaux qui se répandent dans le corps pour y produire et pour y entretenir une disposition convenable il l’objet que l’on aperçoit, afin que l’esprit et le corps s’aident mutuellement dans cette rencontre ; car c’est par l’action continuelle de Dieu que nos volontés sont suivies de tous les mouvements de notre corps qui sont propres pour les exécuter, et que les mouvements de notre corps, lesquels s’excitent machinalement en nous par la vue de quelque objet, sont accompagnés d’une passion de notre âme qui nous incline à vouloir ce qui paraît alors utile au corps. C’est cette impression efficace et continuelle de la volonté de Dieu sur nous qui nous unit si étroitement à une portion de la matière ; et si cette impression de sa volonté cessait un moment, nous serions des ce moment délivrés de la dépendance où nous sommes de tous les changements qui arrivent à notre corps.

Car on ne peut comprendre comment certaines gens s’imaginent qu’il y a une liaison absolument nécessaire entre les mouvements des esprits et du sang et les émotions de l’âme. Quelques petites parties de la bile se remuent dans le cerveau avec quelque force ; donc il est nécessaire que l’âme soit agitée de quelque passion, et que cette passion soit plutôt la colère que l’amour. Quel rapport peut-on concevoir entre l’idée des défauts d’un ennemi, une passion de mépris ou de haine, et entre le mouvement corporel des parties du sang qui heurtent contre quelques parties du cerveau ? Comment se peut-on persuader que les uns dépendent des autres, et que l’union ou l’alliance de deux choses aussi éloignées et aussi inalliables que l’esprit et la matière puisse être causée et entretenue d’une autre manière que par la volonté continuelle et toute puissante de l’auteur de la nature ?

Ceux qui pensent que les corps se communiquent nécessairement et par eux-mêmes leur mouvement dans le moment de leur rencontre, pensent quelque chose de vraisemblable. Car enfin ce préjugé a quelque fondement. Les corps semblent avoir essentiellement rapport aux corps[1]. Mais l’esprit et le corps sont deux genres d’êtres si opposés, que ceux qui pensent que les émotions

  1. Voy. ci-dessous liv. 6, ch. 3 de la deuxième part. de la Méthode.