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LIVRE CINQUIÈME.


DES PASSIONS.




CHAPITRE PREMIER.


De la nature et de l’origine des passions en général.


L'esprit de l’homme a deux rapports essentiels ou nécessaires fort différents ; l’un à Dieu, l’autre à son corps. Comme pur esprit, il est essentiellement uni au Verbe de Dieu, à la sagesse et à la vérité éternelle, c’est-à-dire à la souveraine raison ; car ce n’est que par cette union qu’il est capable de penser, ainsi que l’on a vu dans le troisième livre. Comme esprit humain, il a un rapport essentiel à son corps ; car c’est à cause qu’il lui est uni qu’il sent et qu’il imagine, comme l’on a expliqué dans le premier et dans le second livre. On appelle sens ou imagination l’esprit, lorsque son corps est cause naturelle ou occasionnelle de ses pensées ; et on l’appelle entendement lorsqu’il agit par lui-même, ou plutôt lorsque Dieu agit en lui et que sa lumière l’éclaire en plusieurs façons différentes sans aucun rapport nécessaire à ce qui se passe dans son corps.

Il en est de même de la volonté de l’homme. Comme volonté, elle dépend essentiellement de l’amour que Dieu se porte à lui-même et de la loi éternelle, en un mot, de la volonté de Dieu. Ce n’est que parce que Dieu s’aime que nous aimons quelque chose ; et si Dieu ne s’aimait pas, ou s’il n’imprimait sans cesse dans l’âme de l’homme un amour pareil au sien, c’est-à-dire ce mouvement d’amour que nous sentons pour le bien en général, nous n’aimerions rien, nous ne voudrions rien, et par conséquent nous serions sans volonté ; puisque la volonté n’est autre chose que l’impression de la nature qui nous porte vers le bien en général, comme nous avons déjà dit plusieurs fois.

Mais la volonté, comme volonté d’un homme, dépend essentiellement du corps ; car ce n’est qu’à cause des mouvements du sang, ou plutôt des esprits animaux, qu’elle se sent agitée de toutes les