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peut assez admirer et qu’on ne saurait jamais comprendre. A la vue de quelque mal qui surprend ou que l’on sent comme insurmontable par ses propres forces, on jette, par exemple, un grand cri. Ce cri, poussé souvent sans qu’on y pense et par la disposition de la machine, entre infailliblement dans les oreilles de ceux qui sont assez proche pour donner le secours dont on a besoin. Il les pénètre, ce cri, et se fait entendre à eux de quelque nation et de quelque qualité qu’ils soient ; car ce cri est de toutes les langues et de toutes les conditions, comme en effet il en doit être. Il agite le cerveau et change en un moment toute la disposition du corps de ceux qui en sont frappés, il les fait même courir au secours sans qu’ils y pensent. Mais il n’est pas long-temps sans agir sur leur esprit et sans les obliger à vouloir secourir età penser aux moyens de secourir celui qui a fait cette prière naturelle, pourvu toutefois que cette prière ou plutôt ce commandement pressant soit juste et selon les règles de la société. Car un cri indiscret, poussé sans sujet ou par une vaine frayeur, produit dans les assistans de l’indignation ou de la moquerie au lieu de compassion, parce qu’en criant sans raison l’on abuse des choses établies par la nature pour notre conservation. Ce cri indiscret produit naturellement de l’aversion et le désir de venger le tort que l’on a fait à la nature, je veux dire à l’ordre des choses, si celui qui l’a fait sans sujet l’a fait volontairement. Mais il ne doit produire que la passion de moquerie mèlée de quelque compassion, sans aversion et sans un désir de vengeance, si c’est l’épouvante, c’est-à-dire une fausse apparence d’un besoin pressant, qui ait été cause que quelqu’un se soit écrié : car il faut de la moquerie pour le rassurer comme craintif et pour le corriger, et il faut de la compassion pour le secourir comme faible : on ne peut rien concevoir de mieux ordonné.

Je ne prétends pas expliquer par un exemple quels sont les ressorts et les rapports que l’auteur de la nature a mis dans le cerveau des hommes et de tous les animaux pour entretenir le concert et l’union nécessaire à leur conservation. Je fais seulement quelques réflexions sur ces ressorts, afin que l’on y pense et que l’on recherche avec soin, non comment ces ressorts jouent, ni comment leur jeu se communique par l’air, par la lumière et par tous les petits corps qui nous environnant, car cela est presque incompréhensible et n’est pas nécessaire ; mais au moins afin que l’on reconnaisse quels en sont les effets. On peut par différentes observations reconnaître les liens qui nous attachent les uns aux autres, mais on ne peut connaître avec quelque exactitude comment cela se fait. On voit sans peine qu’une montre marque les heures ; mais il faut du