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soient intérieurement convaincus de leur faiblesse et que Dieu ne leur demande point certains devoirs qu’ils se prescrivent, puisqu’ils les empêchent de le servir, ils ne peuvent s’empêcher de préférer leur imagination à leur esprit, et de se rendre plutôt à de certains sentiments confus qui les effraient et qui les font tomber dans l’erreur, qu’à l’évidence de la raison qui les rassure et qui les remet dans le vrai chemin de leur salut.

Il se trouve souvent beaucoup de vertu et de charité dans les personnes affligées de scrupules ; mais il y en a beaucoup moins dans ceux qui sont attachés à quelques superstitions et qui font leur principale occupation de quelques pratiques juives et pharisaïques. Dieu veut être adoré en esprit et en vérité ; il ne se contente pas de grimaces et de civilités extérieures, qu’on se mette à genoux en sa présence et qu’on le loue par un mouvement des lèvres auquel le cœur n’ait point de part. Les hommes ne se contentent de ces marques de respect que parce qu’ils ne pénètrent point le cœur ; car les hommes mêmes sont assez injustes pour vouloir être adorés en esprit et en vérité. Dieu demande donc notre esprit et notre cœur : il ne l’a fait que pour lui et il ne le conserve que pour lui. Mais il y a bien des gens qui, malheureusement pour eux, lui refusent les choses sur lesquelles il a toutes sortes de droits. Ils ont des idoles dans leur cœur, qu’ils adorent en esprit et en vérité, et auxquelles ils sacrifient tout ce qu’íls sont.

Mais, parce que le vrai Dieu les menace, dans le secret de leur conscience, d’une éternité de tourments, pour punir l’excès de leur ingratitude, et que, cependant, ils ne veulent point quitter leur idolâtrie, ils s’avisent de faire extérieurement quelques bonnes œuvres : ils jeûnent, comme les autres ; ils font des aumônes ; ils disent des prières. Ils continuent quelque temps de pareils exercices, et, parce qu’ils sont pénibles à ceux qui manquent de charité, ils les quittent d’ordinaire pour embrasser certaines petites pratiques ou dévotions aisées, qui, s’accordant avec l’amour-propre, renversent nécessairement, mais d’une manière insensible, toute la morale de Jésus-Christ. Ils sont fidèles, ardents et zélés défenseurs de ces traditions humaines, que des personnes peu éclairées leur persuadent être très-utiles, et que l’idée de l’éternité, qui les effraie, leur représente sans cesse comme absolument nécessaires à leur salut.

Il n’en est pas de même des justes. Ils entendent, comme les impies, les menaces de leur Dieu ; mais le bruit confus de leurs passions ne les empêche pas d’en entendre les conseils. Les fausses lueurs des traditions humaines ne les éblouissant pas jusques à ne