naturellement l’esprit, il faut vouloir le considérer, et même avec un peu de constance et de fermeté, pour en reconnaître la vérité avec évidence ; il faut que la force de la volonté supplée à l’attrait sensible. Mais les hommes ne s’avisent pas de penser aux objets qui ne flattent point leurs sens ; ou s’ils s’en avisent, ils ne font point d’effort pour cela.
Car pour continuer notre même exemple, ils pensent qu’il est évident que le tout est plus grand que sa partie, qu’une montagne de marbre est possible, et qu’une montagne sans vallée est impossible, et qu’il n’est pas également évident qu’il y a un Dieu. Néanmoins on peut dire, que l’évidence est égale dans toutes ces propositions, puisqu’elles sont toutes également éloignées du premier principe.
Voici le premier principe. On doit attribuer à une chose ce que l’on conçoit clairement être renfermé dans l’idée qui la représente, on conçoit clairement qu’il y a plus de grandeur dans l’idée qu’on a du tout que dans l’idée qu’on a de sa partie ; que l’existence possible est contenue dans l’idée d’une montagne de marbre ; l’existence impossible dans l’idée d’une montagne sans vallée, et l’existence nécessaire dans l’idée qu’on a de Dieu, je veux dire de l’être infiniment parfait. Donc le tout est plus grand que sa partie : donc une montagne de marbre peut exister : donc une montagne sans vallée ne peut exister : donc Dieu ou l’être infiniment parfait existe nécessairement. Il est visible que ces conclusions sont également éloignées du premier principe de toutes les sciences ; elles sont donc également évidentes en elles-mêmes. Il est donc aussi évident que Dieu existe qu’il est évident que le tout est plus grand que sa partie. Mais parce que les idées d’infini, de perfection, d’existence nécessaire, ne sont pas sensibles comme les idées de tout et de partie, on s’imagine qu’on ne conçoit pas ce qu’on ne sent pas ; et quoique ces conclusions soient également évidentes, elles ne sont pas toutefois également reçues.
Il y a des gens qui tâchent de persuader qu’ils n’ont point d’idée d’un être infiniment parfait. Mais je ne sais comment ils s’avisent de répondre positivement lorsqu’on leur demande si un être infiniment parfait est rond ou carré, ou quelque chose de semblable ; car ils devraient dire qu’ils n’en savent rien, s’il est vrai qu’ils n’en aient point d’idée.
Il y en a d’autres qui accordent que c’est bien raisonner que de conclure que Dieu n’est point un être impossible de ce qu’on voit que l’idée de Dieu n’enferme point de contradiction ou l’existence impossible ; et ils ne veulent pas que l’on conclue de même que Dieu