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De même les hommes voient que le bois que l’on jette dans le feu cesse d’être ce qu’il est, et que toutes les qualités sensibles qu’ils y remarquent se dissipent : et de là ils s’imaginent avoir droit de conclure qu’il se peut faire qu’une chose rentre dans le néant dont elle est sortie. Ils cessent de voir le bois, et ne voient qu’un peu de cendres qui lui succèdent : et de là ils jugent que la plus grande partie du bois cesse d’être, comme si le bois ne pouvait pas être réduit en des parties qu’ils ne pussent voir. Du moins n’est-il pas aussi évident que cela ne se puisse faire qu’il est évident que la force qui donne l’être à toutes choses n’est pas sujette au changement, et que, par les forces ordinaires de la nature, ce qui est ne peut être réduit à rien, comme ce qui n’est point ne peut commencer d’être. Mais la plupart des hommes ne savent ce que c’est que de rentrer dans eux-mêmes pour y entendre la voix de la vérité, selon laquelle ils doivent juger de toutes choses. Ce sont leurs yeux qui règlent leurs décisions. Ils jugent selon ce qu’ils sentent et non pas selon qu’ils conçoivent, car ils sentent avec plaisir et ils conçoivent avec peine.

Demandez à tout ce qu’il y a d’hommes au monde si l’on peut assurer, sans crainte de se tromper, que le tout est plus grand que sa partie ; et je m’assure qu’il ne s’en trouvera pas un qui ne réponde d’abord ce qu’il faut répondre. Demandez-leur ensuite si l’on peut de même, sans crainte de se tromper, assurer d’une chose ce que l’on conçoit clairement être renfermé dans l’idée qui la représente, et vous verrez qu’il s’en trouvera peu qui l’accordent sans hésiter, qu’il y en aura quelques-uns qui le nieront, et que la plupart ne sauront que répondre. Cependant cet axiome métaphysique : que l’on peut assurer d’une chose ce que l’on conçoit clairement être renfermé dans l’idée qui la représente ou plutôt, que tout ce que l’on conçoit clairement est précisément tel que l’on le conçoit, est plus évident que l’axiome que le tout est plus grand que sa partie, parce que ce dernier axiome n’est pas tant un axiome qu’une conclusion à l’égard du premier. On peut prouver que le tout est plus grand que sa partie par ce premier axiome, mais ce premier ne se peut prouver par aucun autre : il est absolument le premier et le fondement de toutes les connaissances claires et évidentes. D’où vient donc que personne n’hésite sur la conclusion, et que bien des gens doutent du principe dont elle est tirée, si ce n’est que les idées de tout et de partie sont sensibles, et qu’on voit pour ainsi dire de ses yeux que le tout est plus grand que sa partie, mais qu’on ne voit pas avec les yeux la vérité du premier axiome de toutes les sciences ?

Comme dans cet axiome il n’y a rien qui arrête et qui applique