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aucune application de notre part, parce que nous sentons même malgré nous ce qui nous touche. Nous ne trouvons point naturellement de plaisir prévenant dans l’union que nous avons avec Dieu, les idées pures des choses ne nous touchent point. Ainsi l’inclination que nous avons pour le plaisir ne nous applique et ne nous unit point à Dieu ; au contraire, elle nous en détache et nous en éloigne sans cesse. Car cette inclination nous porte continuellement à considérer les choses par leurs idées sensibles, à cause que ces idées fausses et impures nous touchent. L’amour du plaisir, et la jouissance actuelle du plaisir qui en réveille et qui en fortifie l’amour, nous éloigne donc sans cesse de la vérité, pour nous jeter dans l’erreur.

Ainsi ceux qui veulent s’approcher de la vérité pour être éclairés de sa lumière doivent commencer par la privation du plaisir. Ils doivent éviter avec soin tout ce qui touche et tout ce qui partage agréablement l’esprit ; car il faut que les sens et les passions se taisent, si l’on veut entendre la parole de la vérité, l’éloignement dp monde et le mépris de toutes les choses sensibles étant nécessaires, aussi bien pour la perfection de l’esprit que pour la conversion du cœur.

Lorsque nos plaisirs sont grands, lorsque nos sentiments sont vifs, nous ne sommes pas capables des vérités les plus simples, et nous ne demeurons pas même d’accord des notions communes, si elles ne renferment quelque chose de sensible. Lorsque nos plaisirs ou nos autres sentiments sont modérés, nous pouvons reconnaître quelques vérités simples et faciles : mais s’il se pouvait faire que nous fussions entièrement délivrés des plaisirs et des sentiments, nous serions capables de découvrir avec facilité les vérités les plus abstraites et les plus difficiles que l’on sache. Car à proportion que nous nous éloignons de ce qui n’est point Dieu, nous nous approchons de Dieu même ; nous évitons l’erreur et nous découvrons la vérité. Mais depuis le péché, depuis l’amour déréglé du plaisir prévenant, dominant et victorieux, l’esprit est devenu si faible qu’il ne peut rien pénétrer, et si matériel et dépendant de ses sens, qu’il ne peut trouver de prise à ce qui n’a point de corps, se rendre attentif aux vérités abstraites et qui ne le touchent pas. Ce n’est même qu’avec peine qu’il aperçoit les notions communes ; et souvent il juge, faute d’attention, qu’elles sont fausses ou obscures. Il ne peut discerner la vérité des choses d’avec leur utilité, le rapport qu’elles ont entre elles d’avec le rapport qu’elles ont avec lui ; et il croit souvent que celles-là sont les plus vraies, qui lui sont les plus utiles, les plus agréables, et qui le touchent le plus. Enfin cette