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CHAPITRE XI.
De l’amour du plaisir par rapport aux sciences spéculatives. — I. Comment il nous empêche de découvrir la vérité. — II. Quelques exemples.


L’inclination que nous avons pour les plaisirs sensibles étant mal réglée, n’est pas seulement l’origine des erreurs dangereuses où nous tombons dans les sujets de morale et la cause générale du dérèglement de nos mœurs ; elle est aussi une des principales causes du dérèglement de notre esprit, et elle nous engage insensiblement dans des erreurs très-grossières mais moins dangereuses sur des sujets purement spéculatifs ; parce que cette inclination nous empêche d’apporter aux choses qui ne nous touchent pas, assez d’attention pour les comprendre et pour en bien juger.

On a déjà parlé en plusieurs endroits de la difficulté que les hommes trouvent à s’appliquer à des sujets un peu abstraits, parce que la matière dont on traitait alors le demandait ainsi. On en a parlé vers la fin du premier livre, en montrant que les idées sensibles touchant plus l’âme que les idées pures de l’esprit, elle s’appliquait souvent davantage aux manières qu’aux choses mêmes. On en a parlé dans le second, parce que, traitant de la délicatesse des fibres du cerveau, on y faisait voir d’où venait la mollesse de certains esprits efféminés. Enfin on en a parlé dans le troisième, en parlant de l’attention de l’esprit, lorsqu’il a fallu montrer que notre âme n’était guère attentive aux choses purement spéculatives, mais beaucoup plus à celles qui la touchent et qui lui font sentir du plaisir ou de la douleur.

Nos erreurs ont presque toujours plusieurs causes, qui contribuent toutes à leur naissance ; de sorte qu’il ne faut pas s’imaginer que ce soit faute d’ordre que l’on répète quelquefois presque les mêmes choses, et que l’on donne plusieurs causes des mêmes erreurs ; c’est qu’en effet il y en a plusieurs. Je ne parle pas des causes réelles, car nous avons dit souvent qu’il n’y en avait point d’autre réelle et véritable que le mauvais usage de notre liberté, de laquelle nous n’usons pas bien en cela seul que nous n’en usons pas toujours autant que nous le pouvons, ainsi que nous avons expliqué dès le commencement de cet ouvrage[1].

On ne doit donc pas trouver à redire si, pour faire pleinement concevoir comment par exemple les manières sensibles dont on couvre les choses nous surprennent et nous font tomber dans l’er-

  1. Ch. 2.