sent sans cette grâce particulière faire quelques actions méritoires et résister aux mouvements de la concupiscence. Il y en a qui sont courageux et constants dans la loi de Dieu par la force de leur foi, par le soin qu’ils ont de se priver des choses sensibles, et par le mépris et le dégoût de tout ce qui les peut tenter. Il y en a qui agissent presque toujours sans goûter ce plaisir indélibéré ou prévenant dont je parle. La seule joie qu’ils trouvent, en agissant selon Dieu est le seul plaisir qu’ils goûtent, et ce plaisir suffit pour les arrêter dans leur état et pour confirmer la disposition de leur cœur. Comme ils aiment Dieu et sa sainte loi, ils y pensent avec joie ; car on pense toujours avec plaisir à ce qu’on aime ; ou, ce qui revient au même, on ne peut s’en séparer sans quelque horreur, et cela suffit, afin que les justes puissent vaincre du moins les tentations légères. Mais ceux qui commencent leur conversion ont besoin d’un plaisir indélibéré et prévenant pour les détacher des biens sensibles, auxquels ils sont attaches par d’autres plaisirs prévenants et indélibérés ; la tristesse et les remords de leur conscience ne suffisent pas, et ils ne goûtent point encore de joie. Mais les justes peuvent vivre par la foi et dans la disette : et c’est même en cet état qu’ils méritent davantage, parce que les hommes étant raisonnables, Dieu veut en être aimé d’un amour de choix, plutôt que d’un amour d’instinct et d’un amour indélibéré, semblable à celui par lequel on aime les choses sensibles, sans connaître qu’elles sont bonnes autrement que par le plaisir qu’on en reçoit. Cependant la plupart des hommes ayant peu de foi et se trouvant sans cesse dans les occasions de goûter les plaisirs, ils ne peuvent conserver long-temps leur amour électif pour Dieu contre l’amour naturel pour les biens sensibles, si la délectation de la grâce ne les soutient contre les efforts de la volupté ; car la délectation de la grâce produit, conserve, augmente la charité, comme’les plaisirs sensibles la cupidité.
V. Il paraît assez par les choses que l’on a dites ci-dessus que les hommes n’étant jamais sans quelque passion ou sans quelques sensations agréables ou fâcheuses, la capacité et l’étendue de leur esprit en est beaucoup occupée, et que lorsqu’ils veulent employer le reste de cette capacité à examiner quelque vérité, ils en sont souvent détournés par quelques sensations nouvelles, par le dégoût que l’on trouve dans cet exercice, et par l’inconstance de la volonté qui agite et qui promène l’esprit d’objets en objets sans l’arrêter. De sorte que si l’on n’a pas pris des la jeunesse l’habitude de vaincre toutes ces oppositions, comme on a expliqué dans la seconde partie, on se trouve enfin incapable de pénétrer rien