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sans l’espérer, on doit tendre avec effort à l’infaillibilité sans y prétendre.

Il ne faut pas s’imaginer qu’il y ait beaucoup à souffrir dans la recherche de la vérité ; il ne faut que se rendre attentif aux idées claires que chacun trouve en soi-même, et suivre exactement quelques règles que nous donnerons dans la suite[1]. L’exactitude de l’esprit n’a presque rien de pénible ; ce n’est point une servitude comme l’imagination la représente ; et si nous y trouvons d’abord quelque difficulté, nous en recevons bientôt des satisfactions qui nous récompensent abondamment de nos peines ; car enfin il n’y a qu’elle qui produise la lumière et qui nous découvre la vérité.

Mais sans nous arrêter davantage à préparer l’esprit des lecteurs, qu’il est bien plus juste de croire assez portés d’eux-mêmes à la recherche de la vérité, examinons les causes et la nature de nos erreurs ; et puisque la méthode qui examine les choses en les considérant dans leur naissance et dans leur origine a plus d’ordre et de lumière, et les fait connaitre plus à fond que les autres, tâchons de la mettre ici en usage.

I. L’esprit de l’homme n’étant point matériel ou étendu, est sans doute une substance simple, indivisible, et sans aucune composition de parties ; mais cependant on a coutume de distinguer en lui deux facultés, savoir : l’entendement et la volonté, lesquelles il est nécessaire d’expliquer d’abord, car il semble que les notions ou les idées qu’on a de ces deux facultés, ne sont pas assez nettes ni assez distinctes.

Mais parce que ces idées sont fort abstraites et qu’elles ne tombent point sous l’imagination, il semble à propos de les exprimer par rapport aux propriétés qui conviennent à la matière, lesquelles se pouvant facilement imaginer, rendront les notions qu’il est bon d’attacher à ces deux mots entendement et volonté, plus distinctes et même plus familières. Il faudra seulement prendre garde que ces rapports de l’esprit et de la matière ne sont pas entièrement justes, et qu’on ne compare ensemble ces deux choses que pour rendre l’esprit plus attentif et faire comme sentir aux autres ce que l’on veut dire.

La matière ou l’étendue renferme en elle deux propriétés ou deux facultés. La première faculté est celle de recevoir différentes figures, et la seconde est la capacité d’être mue. De même l’esprit de l’homme renferme deux facultés : la première qui est l’entendement, est celle de recevoir plusieurs idées, c’est-à-dire d’apercevoir plusieurs choses ; la seconde, qui est la volonté, est celle de recevoir plusieurs

  1. Livre 6.