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tiers ; enfin toute la nature est sujette au changement, donc il a eu raison de quitter la robe pour prendre le manteau ! Quel rapport entre ce qu’il doit prouver, et entre tous ces changements et plusieurs autres qu’il recherche avec grand soin et qu’il décrit avec des expressions forcées, obscures et guindées[1] ? Le paon se change à chaque pas qu’il fait, le serpent entrant dans quelque trou étroit sort de sa propre peau et se renouvelle ; donc il a raison de changer d’habit ! Peut-on de sang-froid et de sens rassis tirer de pareilles conclusions ? et pourrait-on les voir tirer sans en rire, si cet auteur n’étourdissait et ne troublait l’esprit de ceux qui le lisent ?

Presque tout le reste de ce petit livre de Pallio est plein de raisons aussi éloignées de son sujet que celles-ci, lesquelles certainement ne prouvent qu’en étourdissant lorsqu’on est capable de se laisser étourdir ; mais il serait assez inutile de s’y arrêter davantage. Il suffit de dire ici que si la justesse de l’esprit, aussi bien que la clarté et la netteté dans le discours, doivent toujours paraître en tout ce qu’on écrit, puisqu’on ne doit écrire que pour faire connaître la vérité, il n’est pas possible d’excuser cet auteur, qui, au rapport même de Saumaise, le plus grand critique de nos jours, a fait tous ses efforts pour se rendre obscur, et qui a si bien réussi dans son dessein, que ce commentateur était prêt de jurer qu’il n’y avait personne qui l’entendit parfaitement[2]. Mais quand le génie de la nation, la fantaisie de la mode qui régnait en ce temps-là, et enfin la nature de la satire ou de la raillerie, seraient capables de justifier en quelque manière ce beau dessein de se rendre obscur et incompréhensible, tout cela ne pourrait excuser les méchantes raisons et égarement d’un auteur qui, dans plusieurs autres de ses ouvrages aussi bien que dans celui-ci, dit tout ce qui lui vient dans l’esprit, pourvu que ce soit quelque pensée extraordinaire et qu’il ait quelque expression hardie par laquelle il espère faire parade de la force, ou pour mieux dire, du dérèglement de son imagination.


CHAPITRE IV.
De l’imagination de Sénèque.


L’imagination de Sénèque n’est quelquefois pas míeux réglée que celle de Tertullien. Ses mouvements impétueux l’emportent souvent dans des pays qui lui sont inconnus, où néanmoins il mar-

  1. Ch. 2 et 3 de Pallio.
  2. Multos etiam vidi postquam bene œstunssent ut cum assequerentur, nihil prœter sudorem et inanem animi fatigationem lucratos, ab ejus lectione discessisse. Sic qui scotinus haberi, viderique dignus qui hoc cognomentum haberet, voluit,