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nérale que l’on a donnée de l’esprit dans le premier chapitre de cet ouvrage, est peut-être une assez bonne preuve de ceci.

Au contraire, lorsqu’on exprime les rapports qui se trouvent entre les choses matérielles, de telle manière qu’il n’y a point de liaison nécessaire entre les idées de ces choses et les traces de leurs expressions, on a beaucoup de peine à les comprendre et on les oublie facilement.

Ceux, par exemple, qui commencent l’étude de l’algèbre ou de l’analyse ne peuvent comprendre les démonstrations algébriqueœ qu’avec beaucoup de peine, et, lorsqu’ils les ont une fois comprises, ils ne s’en souviennent pas long-temps, parce que les carrés, par exemple, les parallélogrammes, les cubes, les solides, etc., étant exprimés par aa, ab, a3, abc, etc., dont les traces n’ont point de liaison naturelle avec leurs idées, l’esprit ne trouve point de prise pour s’en fixer les idées et pour en examiner les rapports.

Mais ceux qui commencent la géométrie commune conçoivent très-clairement et très-promptement les petites démonstrations qu’on leur explique, pourvu qu’ils entendent très-distinctement les termes dont on se sert, parce que les idées de carré, de cercle, etc., sont liées naturellement avec les traces des figures qu’ils voient devant leurs yeux. Il arrive même souvent que la seule exposition de la figure qui sert à la démonstration la leur fait plutôt comprendre que les discours qui l’expliquent, parce que les mots n’étant liés aux idées que par une institution arbitraire, ils ne réveillent pas ces idées avec assez de promptitude et de netteté pour en reconnaître facilement les rapports, car c’est principalement à cause de cela qu’il y a de la difficulté à apprendre les sciences.

On peut en passant reconnaître par ce que je viens de dire, que ces écrivains qui fabriquent un grand nombre de mots nouveaux et de nouvelles figures pour expliquer leurs sentiments font souvent des ouvrages assez inutiles. Ils croient se rendre intelligibles, lorsqu’en effet ils se rendent incompréhensibles. Nous définissons tous nos termes et tous nos caractères, disent-ils, et les autres en doivent convenir. Il est vrai, les autres en conviennent de volonté, mais leur nature y répugne. Leurs idées ne sont point attachées ces termes nouveaux ; parce qu’il faut pour cela de l’usage et un grand usage. Les auteurs ont peut-être cet usage, mais les lecteurs ne l’ont pas. Lorsqu’on prétend instruire l’esprit, il est nécessaire de le connaître ; parce qu’il faut suivre la nature et ne pas l’irriter ni la choquer.

On ne doit pas cependant condamner le soin que prennent les mathématiciens de définir leurs termes, car il est évident qu’il les